Le parquet de Paris a ouvert lundi une enquête préliminaire pour "faux et usage de faux" et "publication de fausses nouvelles", à la suite d'une plainte de Nicolas Sarkozy contre Mediapart. La plainte vise le site Mediapart, son directeur de la publication, Edwy Plenel, ainsi que les deux journalistes Fabrice Arfi et Karl Laske qui ont signé samedi un article faisant état d'une note présumée à propos d'un soutien libyen à la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007.
Dimanche 29 avril, Nicolas Sarkozy dénonçait "une infamie" de la part de Mediapart qui serait, selon lui, une "officine au service de la gauche" après la publication, par le site Internet, d'une note qui prouverait que le colonel Kadhafi aurait donné son "accord de principe" pour financer sa campagne présidentielle en 2007.
Lundi matin, le président-candidat avait annoncé sur France 2 le prochain dépôt d'une plainte contre le site d'information avant la fin de la campagne. "Nous déposerons plainte contre Mediapart [...]. Ce document est un faux grossier, les deux personnes en Libye qui étaient censées avoir envoyé ce document et le recevoir l'ont démenti", avait déclaré M. Sarkozy sur France 2, qualifiant une nouvelle fois Mediapart d'"officine".
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Le directeur de Mediapart, Edwy Plenel a indiqué lundi attendre "avec sérénité un éventuel procès". "Il ne suffit pas de contester l'authenticité du document révélé par Mediapart pour mettre fin aux suspicions largement documentées depuis plusieurs mois de relations financières entre l'entourage de Nicolas Sarkozy et celui du dictateur Mouammar Kadhafi", a ajouté M. Plenel. "Nous en ferons la démonstration si le procès annoncé a bien lieu".
50 MILLIONS D'EUROS
Dans ce document publié par le journal en ligne Mediapart, samedi 28 avril, présenté comme une note issue des services secrets libyens signée par son chef de l'époque, Moussa Koussa, et traduite de l'arabe par Mediapart, on peut lire que, dès 2006, le gouvernement libyen aurait décidé "d'appuyer la campagne électorale" de Nicolas Sarkozy pour un "montant de 50 millions d'euros". La note ne précise pas si un tel financement a effectivement eu lieu. Mediapart explique avoir obtenu cette note de la part "d'anciens hauts responsables du pays, aujourd'hui dans la clandestinité", qui l'ont communiquée "ces tout derniers jours".
Moussa Koussa, actuellement au Qatar, a estimé dimanche que "toutes ces histoires sont falsifiées". De son côté, Bachir Saleh, ex-président du Fonds Libyen des investissements africains, destinataire supposé de la note citée par Mediapart, a démenti dimanche "avoir été jamais destinataire d'un tel document". Selon une déclaration de son avocat Me Pierre Haïk, l'ex-directeur de cabinet de Kadhafi "émet au préalable les plus expresses réserves sur l'authenticité de la note publiée par Mediapart et opportunément présentée comme constituant la preuve d'un financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy".
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L'ex-trésorier de Mouammar Kadhafi "se trouve en France", a précisé son avocat confirmant une information déjà publiée début avril par Le Canard Enchaîné. Il est visé à la fois par des sanctions économiques de Washington et par une "notice rouge" d'Interpol en vue de son extradition vers la Libye pour "fraude". Ses photos publiées sur le site internet d'Interpol ont été authentifiées par l'AFP à Tripoli. Toutefois, sur la fiche d'Interpol, il est identifié sous le nom de Bashir Al-Shrkawi, né en 1946 à Agadez, au Niger, de nationalité libyenne.
"M. Sarkozy, estime M. Plenel, s'appuie sur deux démentis, ceux de MM. Saleh et Moussa Koussa, qui, tous deux, bien qu'anciens dignitaires du régime Kadhafi, sont sous la protection de la France et son allié, le Qatar". "M. Saleh fait l'objet d'une demande d'Interpol pour fraude à la demande de la Libye et pourtant la France le garde sous sa protection, a-t-il souligné. Quant à M. Koussa il est soupçonné d'être complice d'actes de torture en Libye, et, malgré cela, il réside tranquillement au Qatar".
M. SALEH "PROTÉGÉ PAR L'IMMUNITÉ DIPLOMATIQUE"
Lundi matin, le premier ministre François Fillon a cependant indiqué qu'il n'avait pas connaissance d'un mandat d'Interpol visant Bachir Saleh. "Nous n'avons aucune trace d'un mandat international", a assuré le premier ministre sur RTL. "J'imagine que le gouvernement français serait au courant", a-t-il relevé.
M. Fillon a en outre expliqué que M. Saleh disposait d'un "passeport diplomatique du Niger" et qu'"à ce titre, il est protégé par l'immunité diplomatique". Une affirmation démentie lundi par le ministère nigérien des affaires étrangères. "Non, Bachir Saleh n'est plus en possession d'un passeport nigérien", a déclaré à l'AFP une source au sein du ministère nigérien.
D'après M. Fillon, Bachir Saleh "fait actuellement des allers et retours entre la France et le Niger". "Si naturellement il y avait un mandat international contre lui, la France le remettrait à la disposition de la justice, après un échange avec le Niger qui est nécessaire compte tenu de son état de diplomate", a précisé M. Fillon.
Quelques heures après ces déclarations, un des avocats de l'ex-dignitaire libyen a confirmé que son client faisait bien l'objet d'un mandat d'arrêt signalé par Interpol, à la demande de Tripoli et s'est d'ailleurs insurgé contre cette situation. "Comment Interpol peut-il diffuser un ordre d'arrestation provisoire à la demande des autorités libyennes?", a demandé Me Marcel Ceccaldi. "Quel pays démocratique prendrait le risque d'arrêter quelqu'un pour le transférer en Libye?" a-t-il poursuivi.
A propos du document de Mediapart, il a indiqué que "ce genre de question n'entrait pas dans les prérogatives de M. Saleh", a déclaré Me Ceccaldi, précisant qu'en 2006, son client n'était plus directeur de cabinet de M. Kadhafi. "Croyez-vous que dans des affaires de cette nature, un PV serait dressé?", a-t-il interrogé au sujet de la note publiée par Mediapart.
"J'AURAIS INSPIRÉ QUOI QUE CE SOIT, QUI QUE CE SOIT ?"
De son côté, le candidat PS à l'Elysée François Hollande a estimé lundi matin sur Europe 1 que "c'est à la justice d'être saisie" au sujet de ce document. "Si c'est un faux, eh bien le site sera condamné, si ce n'était pas un faux, à ce moment-là il y aurait des explications à fournir", a-t-il expliqué.
Le candidat socialiste a nié tout lien entre lui et ce site qualifié par le premier ministre François Fillon "d'officine financée par de riches amis" de François Hollande. "Ce site est un site d'investigation, d'informations, c'est arrivé qu'il accable quelque fois des personnalités de gauche", a-t-il fait valoir. "Je ne vois pas comment il pourrait être établi qu'il y aurait là comme une relation, une confusion entre les socialistes et ce site d'information, qui, je le rappelle, est composé de journalistes reconnus."
"On peut les aimer ou ne pas les aimer mais ce sont des journalistes qui ont sur plusieurs affaires démontré leur compétence", a aussi affirmé le député de Corrèze. "J'aurais inspiré quoi que ce soit, qui que ce soit, qui peut le penser ?", a-t-il demandé. "Vous croyez que j'ai besoin, moi, qu'il y ait des journaux qui sortent des affaires, vous pensez que c'est comme ça que je pense gagner l'élection présidentielle ?" M. Hollande a souligné que "chaque fois qu'il y a un scandale qui touche le pouvoir, ce n'est jamais bon pour la démocratie et jamais bon pour les partis de gouvernement".
"Cette affaire est gravissime. Il faut maintenant que la justice fasse son travail au plus vite", avait déclaré dimanche soir au Monde Benoît Hamon, le porte-parole du Parti socialiste.