Le travail, pas la concorde !

Publié le 01 mai 2012 par Fbaillot

Voici ce que j'ai déclaré ce 1er mai 2012, à l'occasion de la remise des médailles du Travail, à Templemars .

Nous nous retrouvons comme chaque année pour honorer nos médaillés du travail. Si tous les ans, nous mettons un point d’honneur à ce que cette manifestation soit empreinte de convivialité, mais aussi de solennité, c’est parce que vous comme nous, nous attribuons au travail une grande valeur.

Nous sommes pourtant les uns et les autres très partagés sur ce que nous pensons de notre travail. Nous sommes certes conscients qu’il est une source de libération, que le jour de notre première embauche, nous devenons indépendants, autonomes. Mais nous savons aussi combien le travail aspire notre temps libre, notre vie, notre santé, combien il nous aliène et nous rend esclave. Et que pourrais-je dire aux grands absents de cette cérémonie, à ceux qui justement sont privés de ce droit au travail ?

Le travail nous libère, nous permet de nourrir notre foyer, d’élever nos enfants, de donner un sens à notre vie. Mais le travail est aussi responsable dans notre pays, en 2012, chaque année de 600 accidents mortels, de 700 suicides, de 4500 blessures invalidantes. Je vous épargnerai la longue liste des maladies du travail, notamment celles dues à l’amiante, des accidents cardiaques et vasculaires, des stress générateurs de graves anomalies psychiques et psychologiques dont on attribue une grande part au travail. Et l’inactivité forcée par le chômage est elle aussi synonyme d’énormes souffrances, de dégâts individuels et sociaux considérables.

En chacun de nous demeure cette contradiction, ce double regard un peu inconciliable entre ce que nous apporte et nous coûte le travail ou l’absence de travail.

Et vous le savez sans doute, cette fête du travail du 1er mai porte elle aussi ce double aspect un peu antagonique.

Son origine remonte à 1884, aux Etats-Unis. A cette époque, les syndicats américains veulent imposer aux patrons une limitation de la journée de travail à huit heures. Ils choisissent de débuter leur action le 1er mai parce que beaucoup d’entreprises américaines entament ce jour-là leur année comptable, et que c’est la date du terme des contrats. La grève générale du 1er mai 1886 est largement suivie.

A Chicago, la grève se prolonge dans certaines entreprises, et le 3 mai, une manifestation fait trois morts parmi les grévistes de la société McCormick Harvester. Le lendemain a lieu une marche de protestation et dans la soirée, une bombe explose devant les forces de l’ordre. Elle fait un mort dans les rangs de la police. Sept autres policiers sont tués dans la bagarre qui s’ensuit. À la suite de cet attentat, quatre syndicalistes sont pendus, pour l’exemple, le vendredi 11 novembre 1887 (le Black Friday). Un cinquième se suicide dans sa cellule. Trois autres sont condamnés à perpétuité.

En 1889, à Paris, la IIe Internationale socialiste se réunit pour le centenaire de la révolution française et vote le principe d’une journée de mobilisation et de solidarité internationale des travailleurs, suggérant qu’elle ait lieu chaque année le 1er Mai, en commémoration des événements de Chicago.

Le 1er mai 1891, à Fourmies, l’invitation de la IIe Internationale s’enracine à cause d’un nouveau drame : la troupe tire sur les ouvriers et fait dix morts.

Voilà d’où nous venons, l’histoire du 1er mai est née des combats des salariés, des ouvriers.

Mais nous le savons, le 1er mai, c’est aussi l’histoire d’une récupération, dans les pires années de notre histoire, par le maréchal Pétain, le 24 avril 1941.

Ce jour-là, Pétain instaure officiellement le 1er Mai comme « la fête du Travail et de la Concorde sociale », à l’initiative de René Belin, ancien dirigeant de l’aile anticommuniste de la CGT devenu secrétaire d’État au travail dans le gouvernement de François Darlan. Le jour devient férié, chômé et payé. Radio Paris souligne que le 1er mai coïncide aussi avec la fête du saint patron du maréchal, saint Philippe. L’églantine rouge est remplacée par le muguet, qui symbolise le printemps depuis le Moyen-Age, notons-le. Pour balayer la tradition du combat des travailleurs, le régime de Vichy encourage la défense du bien commun et la création de comités sociaux. Une tradition, venue de la solidarité entre les opprimés est récupérée pour de bien funestes objectifs. Après la Libération, il faudra attendre 1948 pour que le 1er mai retrouve son appellation originelle de Fête du Travail.

J’arrête là ma leçon d’histoire, mais je trouve qu’en l’occurrence, il n’est pas inutile de nous référer à nos traditions, à notre histoire, pour comprendre le présent. Parce qu’il y a beaucoup à faire, même si notre situation n’a plus rien à voir avec celle des ouvriers de Chicago de 1886 ou de ceux de Fourmies de 1891.

Nous devons faire beaucoup pour que les travailleurs handicapés prennent leur place, toute leur place, dans les entreprises, dans les administrations.

Nous devons faire beaucoup pour que les femmes gagnent les mêmes salaires que les hommes, à travail égal (aujourd’hui, la différence est en moyenne de moins 27%).

Nous devons faire beaucoup pour que les jeunes de moins de 25 ans ne soient pas les premières victimes du chômage de masse : 25% d’entre eux sont au chômage.

Nous devons faire beaucoup pour que ceux qui ont commencé à travailler à 14 ou 16 ans et ont exercé les métiers les plus pénibles puissent partir à la retraite avant d’être complètement usés.

Nous devons faire beaucoup pour qu’un instituteur de 62 ans ne voie pas arriver avec anxiété sa 41e rentrée, pour qu’une infirmière n’envisage pas avec angoisse les soins à domicile qu’elle devra prodiguer jusqu’à 65 ans, pour qu’un ouvrier du bâtiment ne monte plus dans les échafaudages dans le froid et l’humidité alors que ses forces déclinent.

Et puis, je voudrais aussi rappeler ce que nous devons aux combats des travailleurs et des salariés, organisés dans les syndicats. Sans les syndicats, il n’y aurait pas de 1er mai, pas de Smic, pas de durée légale du travail, pas de congés payés, pas de sécurité sociale, pas de caisses de retraite, pas de code du travail, pas de médecine du travail, pas d’inspection du travail. Tous ces droits ont été acquis par nos aînés, pas à pas, après d’âpres négociations, des concessions de part et d’autre, et parfois des manifestations, des grèves. Et les organismes auxquels ils ont donné vie pour qu’ils soient gérés et améliorés année après année fonctionnent sous le régime du paritarisme : ce sont les représentants des travailleurs qui en assurent la direction.

Vous le savez, nous sommes à quelques jours d’une échéance électorale importante pour notre pays, et je me garderais bien aujourd’hui de vous donner le moindre souhait ni le moindre pronostic, en tout cas pas avec cette écharpe. Mais ce 1er mai et la Fête du travail à laquelle il fait référence ont pris cette année une dimension très particulière. A chacun si ce n’est déjà fait de se faire son opinion d’ici dimanche prochain, mais je crois qu’un pays, une société ne peuvent avancer que si on prend garde à tenir compte des leçons de l’histoire, si on donne toute sa valeur au mot travail, si on prend les moyens pour éviter qu’il y ait un rapport de 1 à 600 ou 1000 entre le salaire minimum et celui de quelques dirigeants, pour un simple désir de justice sociale, et qu’on accorde le même regard à chacun, quelque soit son travail.

Nous vivons dans un monde où la hiérarchie est omniprésente, qui stratifie les rapports entre les femmes et les hommes. A vous, à nous d’apporter de la justice, de l’attention à notre voisin, à notre collègue, à notre concitoyen,  pour rendre notre commune, notre société, notre pays plus supportables, plus vivables.