Magazine Journal intime
Les Echelles du Levant
Publié le 03 mai 2012 par AraucariaQuatrième de couverture :
"Echelles du Levant", c'est le nom qu'on donnait autrefois à ce chapelet de cités marchandes par lesquelles les voyageurs d'Europe accédaient à l'Orient. De Constantinople à Alexandrie, en passant par Smyrne, Adana ou Beyrouth, ces villes ont longtemps été des lieux de brassage où se côtoyaient langues, coutumes et croyances. Des univers précaires que l'Histoire avait lentement façonnés, avant de les démolir. Brisant, au passage, d'innombrables vies.Le héros de ce roman Ossyane, est l'un de ces hommes au destin détourné. De l'agonie de l'Empire ottoman aux deux guerres mondiales et aux tragédies qui, aujourd'hui encore, déchirent le Proche-Orient, sa vie ne pèsera guère plus qu'un brin de paille dans la tourmente. Patiemment, il se souvient, il raconte son enfance princière, sa grand-mère démente, son père révolté, son frère déchu, son séjour en France sous l'Occupation, sa rencontre avec Clara, leurs moments de ferveur, d'héroïsme et de rêve; puis la descente aux enfers. Dépossédé de son avenir, de sa dignité, privé des joies les plus simples, que lui reste-t-il? Un amour en attente. Un amour tranquille, mais puissant. Peut-être, en fin de compte, plus puissant que l'Histoire.
"Il est des personnages de roman qui s'imposent par l'universalité de leur histoire. Leur destin particulier porte témoignage de millions d'autres; à travers leurs amours, leurs drames, leurs espérances, des peuples se reconnaissent... Ossyane est de ces héros romanesques qui ont la présence des personnages mythiques." Pierre-Robert Leclercq, Le Monde.
Un extrait :
"Cette histoire ne m'appartient pas, elle raconte la vie d'un autre. Avec ses propres mots, que j'ai seulement agencés quand ils m'ont paru manquer de clarté ou de cohérence. Avec ses propres vérités, qui valent ce que valent toutes les vérités.
M'aurait-il menti quelquefois? Je l'ignore. Pas sur elle, en tout cas, pas sur la femme qu'il a aimée, pas sur leurs rencontres, leurs égarements, leurs croyances, leurs désillusions; de cela j'ai la preuve. Mais sur ses propres motivations à chaque étape de sa vie, sur sa famille si peu commune, sur cette étrange marée de sa raison - je veux dire ces flux et reflux incessants de la folie à la sagesse, de la sagesse à la folie -, il est possible qu'il ne m'ait pas tout dit. Cependant, je le pense de bonne foi. Mal assuré sans doute dans sa mémoire comme dans son jugement, je veux bien l'admettre. Mais constamment de bonne foi.
C'est à Paris que je l'ai croisé, pur hasard, dans une rame de métro, en juin 1976. Je me souviens d'avoir murmuré : "C'est lui!" Il m'avait fallu quelques secondes à peine pour le reconnaître.
Je ne l'avais jamais rencontré jusque-là, ni entendu son nom. J'avais seulement vu une image de lui dans un livre, des années plus tôt. Ce n'était pas un homme illustre. Enfin si, en un sens il l'était, puisqu'il avait sa photo dans mon manuel d'histoire. Mais il ne s'agissait pas du portrait d'un grand personnage avec son nom inscrit dessous. La photo montrait une foule rassemblée sur un quai; à l'arrière-plan un paquebot qui emplissait l'horizon, sauf pour un carré de ciel; la légende disait que pendant la Seconde Guerre, quelques hommes du Vieux Pays étaient allés se battre, en Europe, dans les rangs de la Résistance, et qu'à leur retour, ils avaient été accueillis en héros.
De fait, au milieu de la foule, sur le quai, il y avait une tête de jeune homme ébloui. Les cheveux clairs, les traits lisses, un peu enfantins, le cou tendu sur le côté, comme s'il venait de recevoir à l'instant cette guirlande qui l'ornait.
Que d'heures j'avais passées à contempler cette image! ..." (...)
Un superbe roman qui fait voyager dans l'espace et dans le temps. Une très belle plume. Un excellent livre. Amin Maalouf dévoile une fois de plus tout son talent de grand écrivain.
Amin Maalouf - Les Echelles du Levant - Le Livre de Poche n° 14424 -