Jean-Marc aime jardiner ou bricoler pendant ses jours de repos. Parfois dessiner. Mais aujourd'hui, il fait trop froid pour rester dehors.
Les travaux de la cave attendront des jours meilleurs pour les débuter. Son projet est d'aménager une belle cave à vin : y construire des casiers, mettre des armoires de rangements, des coins aménagés pour les bidons et fûts.
Il ne dessine pas non plus, aujourd'hui. Son inspiration semble chahutée en lui comme un présage de mauvaise augure.
Il vient de rentrer de faire quelques courses pour les prochains travaux, et l'envie subite de se détendre dans son fauteuil préféré, avec son passe-temps favori : celui d'un bon café, les jambes étendues avec les pieds posés sur la table-basse du salon, la télécommande à la main afin d'effectuer son zapping habituel, accompagné d'un langoureux massage de son entre-jambe. Entre feuilletons américains, documentaires, animaliers, jeux télévisés, son cerveau absorbe des milliers d'images. Un défilé télévisuel qui le plonge dans une béance séduisante dans laquelle ses yeux sont comme aimantés. Esprit magnétisé par les couleurs et les musiques de fond.
C'est seulement quand un bref désintéressement le submerge que ses yeux croisent le voyant lumineux du magnétoscope qui indique l'heure.
17h04.
Jean-Marc semble se réveiller d'une longue échappatoire. Il s'interroge subitement sur l'absence de Théo. Son fils. Il devrait être rentré de l'école depuis une bonne demi-heure.
Que se passe-t-il ?
Parfois il lui arrive de rester à l'étude. Mais il aurait prévenu.
Puni par son institutrice ? Cela est peu vraisemblable, car Théo est un garçon studieux et sérieux.
C'est un léger étourdissement. Jean-Marc réalise l'absence d'esprit que le poste de télévision lui a fourni. Comme revenu d'une vicieuse virtualité, il monte à l'étage pour voir si Théo n'est pas rentré de l'école sans qu'il ne se soit rendu compte. Peut-être est-il déjà dans sa chambre en train de faire ses devoirs.
Il ouvre la porte de la chambre.
Personne.
Alors, il décide d'aller voir dehors. Peut-être est-il en train de jouer dans le jardin avec la chienne ? Par ce froid cela semblerait absurde, mais les enfants ont quelquefois des idées qui dépassent le raisonnable.
Il sort. La nappe neigeuse couvre la totalité du gravier sur le devant de la maison. Malgré le froid, en bras de chemise, Jean-Marc sort et va voir dans le jardin, dans le garage.
Personne.
Seule la chienne dort profondément. Celle-ci lève doucement et difficilement le museau lorsqu'elle entend le bruit de la porte du garage. Ses yeux empâtés par le sommeil, elle le regarde à peine avant de se replonger dans son engourdissement.
Jean-Marc retourne alors dans la maison. Le bruit de la télévision continue. Il ne l'éteint pas. Il saisit calmement son manteau et sort de la maison pour se rendre à l'école de Théo, située à quelques pas.
Il arrive devant l'école du village. La cour de récréation est vide. Il aperçoit de la lumière à l'intérieur du bâtiment. C'est la classe de madame Godefroy. Il entre dans la cour, la traverse, puis regarde à travers la porte vitrée. Il voit une femme assise au bureau. Seule. Elle travaille. Elle a l'air de corriger des copies ou de préparer les leçons du lendemain.
Il frappe à la vitre.
Madame Godefroy s'interrompt et lui fait signe d'entrer. Elle se lève du bureau lorsqu'il entre :
- Ah... Bonjour monsieur.
- Bonjour.
- Que se passe-t-il ? Je suis inquiète.
- Mais Théo...
- Oui... Que se passe-t-il ? Il y a eu un problème ?
- Mais où est Théo ? Il n'est pas rentré de l'école...
- Mais c'est moi qui vous pose la question. Je l'ai croisé ce matin, dix minutes avant le début du cours, il m'a dit qu'il allait vous acheter des cigarettes avant de se rendre en classe ? Il n'est pas venu...
- Quoi ?
- Non... Théo n'est pas venu en classe aujourd'hui. (Temps.) Monsieur ? (Temps.) Vous ne vous sentez pas bien ?