Nicolas Sarkozy - II

Publié le 06 mai 2012 par Claude_amstutz

Cologny, le 6 mai 2012.

Monsieur le Président,

Les Français ont donc fait leur choix. Respectons-les. La démocratie, c'est aussi donner une chance à l'alternance, dans la dignité, surtout au regard des difficultés qui s'annoncent pour la France, au sein de l'Europe et du monde. Lors de votre élection en 2007, j'avais admiré la force de vos convictions, votre proximité, l'authenticité et le courage qui émanaient de vous, ainsi qu'une manière dépoussiérée d'appréhender la réalité politique, qualité que par ailleurs je reconnaissais de même à Ségolène Royal.

Au cours du présent quinquennat qui touche à sa fin, rarement vous m'avez déçu. J'ai apprécié votre détermination, votre sincérité, votre intuition d'un monde qui bouge, plus rapidement et plus impitoyablement que celui de la France. Vous avez pratiqué l'ouverture gouvernementale et donné la parole à ceux qui ne partageaient pas nécessairement vos valeurs, par souci d'une représentation plus juste au fonctionnement de l'Etat. La droite ne vous l'a pas pardonné. Elle a eu tort. La gauche l'a combattue. Elle a eu tort. Le clivage des partis politiques appartient à un autre temps où il suffisait de gérer un pays plutôt que l'empêcher de couler comme le Titanic, même si aujourd'hui le retour à cette orientation désuète donne l'impression d'un formidable bond en arrière.

Avec vous, les énarques n'ont pas été ménagés. Les états-majors politiques et les médias non plus. Ils vous l'ont bien rendu. Avec une violence inouïe, permanente. Y compris dans votre propre camp où, au fil de cette dernière campagne, les voix parfois discordantes de la majorité n'ont pas fait mieux - dans l'arrogance, la mauvaise foi et l'outrance verbale - que les ténors de la gauche. Moitié Don Quichotte et moitié Mousquetaire, vous avez opté pour la rupture idéologique avec vos prédécesseurs à la plus haute fonction de la République, comme vous l'aviez promis. Vous avez agi vite. Trop vite peut-être. Le pays n'était sans doute pas prêt pour ces vertiges bousculant les institutions. Et cela non plus ne vous a pas été pardonné. 

Votre parcours a connu des succès que l'histoire retiendra, je l'espère. Pour l'heure, elle ne se souvient que de vos échecs. Avec les crises successives et les conflits qui se sont abattus aux quatre coins du monde, alors que les pays voisins - excepté l'Allemagne et la Suisse dans une moindre mesure - ont dû prendre des mesures sociales injustes, vous avez maintenu la tête de la France hors de l'eau. Et celle des Français. Vous les avez protégés, parfois avec maladresse, mais avec courage et sans fléchir. Seul contre tous, bien souvent. Un autre aurait-il fait mieux? J'en doute. D'un côté, le prix de l'inconséquence gouvernementale avec l'exemple de la Grèce et de l'Espagne; de l'autre des mesures audacieuses prises en France, évitant le pire, mais qui ont renforcé votre impopularité. Vous m'avez parfois agacé par vos dérapages, certaines promesses de campagne non tenues, quelques mensonges - mais bien moins que de coutume à ce degré du pouvoir -, votre tempérament de ferrailleur ne connaissant ni trêve, ni repos même aux heures les plus calmes et réconfortantes. 

Pourtant que d'énergie à dessiner les contours d'un monde dans lequel il était nécessaire de s'adapter chaque jour, d'en accepter le miroir changeant au fil de votre quinquennat. Cela s'appelle le pragmatisme, intégré aux valeurs que vous avez défendues. Que de patience et de discernement pour souligner que les frontières n'empêchent pas l'ouverture aux autres; que la fierté de racines socioculturelles ne restreint pas le partage des savoirs; que la réussite peut être le résultat d'un effort et pas nécessairement d'une injustice; que tout citoyen mérite qu'on écoute ce qu'il veut exprimer, même si en retour il ne fait preuve ni de justice, ni de gratitude. Toute la différence entre l'autorité présidentielle et l'autoritarisme.

Jamais je n'ai regretté de vous avoir soutenu. Et si les Français négligent aujourd'hui majoritairement vos réussites, bafouant votre bilan et votre programme caricaturés dans la plupart des médias, est-ce la rançon de la proximité ou celle, plus obscure et très française d'une constante guerre des classes dont les voisins de la France n'ont plus voulu, depuis longtemps? Au contraire des vents mauvais qui illustrent la démagogie et la médiocrité, je sais que vous conclurez ce quinquennat avec dignité, avec pudeur et sincérité, acceptant que cet échec soit un peu le vôtre: le risque lié au refus de l'immobilisme et le revers de votre tempérament impulsif, souvent mal perçu. Mais après tout, près de la moitié des Français partageront demain encore votre vision de la France, un score plus qu'honorable quand on sait le procès qui vous est fait depuis la soirée de votre élection présidentielle en 2007, et qui depuis lors n'a jamais faibli. Bien au contraire. Il s'est amplifié, chez les politiques, dans les médias et même dans votre entourage qui supportait mal la modernité et l'esprit réformateur qu'impliquaient vos engagements.

Il existe une autre vie après la Présidence. Vous avez envisagé la défaite, et comme je n'en ai jamais douté, vous achevez votre mandat avec des mots très forts dont j'espère que vos militants, vos amis et vos sympathisants se souviendront longtemps: que la France, qui est notre pays, réussisse à traverser les épreuves car il y a quelque chose de beaucoup plus grand que nous, c'est notre patrie, c'est la France. Donnons la meilleure image de la France, d'une France rayonnante, d'une France qui n'a pas de haine au coeur, d'une France démocratique, d'une France joyeuse, d'une France ouverte qui ne baissera pas la tête, d'une France qui ne regarde pas l'autre comme un adversaire, comme un ennemi. Soyons dignes, soyons patriotes, soyons français...

Pour cela aussi que je vous renouvelle mon estime et ma sincère affection.

Bonne chance, Monsieur Sarkozy et merci!   

Claude