Baby-killer

Publié le 14 mars 2012 par L'étudiante

Le silence était d’or.

On n’entendait plus que ma lente respiration lancer des souffles d’air qui se heurtaient contre les pages de Jules Verne. La télévision éteinte ne me polluait point de ridicules divertissements pour découvrir les plus belles anecdotes lors de fêtes beaufs stéréotypées. Le seul animal alentour était un poisson dont les tours de bocal n’attiraient pas le moindre regard et ce n’est pas non plus cet être qui était dans la capacité de se déplacer jusqu’à moi pour réclamer quelques câlins ou nourritures.
Seul le bruit sourd du frigidaire baignait le rez-de-chaussée d’une ambiance paisible plutôt que d’un silence pesant. La rage de la pluie au-dehors martelait les fenêtres, mais ce n’était pas déplaisant. Le vent venait à chanter lors de vaines tentatives en s’engouffrant au travers des branches des bouleaux qui encadraient la propriété.

Ce bruit environnant ne faisait que rassurer sur la solitude qui pesait en ces lieux éclairés par quelques lampes disperses, dont on ne trouve pas les interrupteurs, et pour cause : les portes s’ouvrent dans les mauvais sens (Foutus architectes !).

Outre cet éclairage primitif doté d’ampoules basse consommation, tout était parfait et j’avais trouvé le job idéal pour tout étudiant oisif : le chômage baby-sitting.
Il vous faudra requérir certaines capacités que voici. Quoi de mieux que de se retrouver à ouvrir le frigo et se servir (vol/gourmandise/entrepreneur) ? Visiter une maison qu’on ne connaît pas (vol/curiosité/sens de l’orientation pour les mauvais ou les grandes maisons) ? Veiller tard (insomnie/stress) ? Fouiller les placards pour aller simplement à la découverte de ce qui ne nous appartient pas (fouineur/archéologue/curiosité) ? Rester sur l’ordinateur (informatique/geek) ? Être payée pour cela (vénalité/frigidité) ?
À part en étant dans l’impossibilité de se déplacer et donc « condamné » à travailler chez soi, je ne vois pas comment faire autrement pour occuper un tel poste qui offre autant d’avantages.

Et après, on me blâmera quand je les comparerai à des animaux... *tsss*

À voir le bon côté, j’en oublie l’essentiel, vous devrez incontestablement faire preuve de patience.
Oui parce que la tranquillité ça se mérite mes mignons ! Avant de pouvoir jouir d’un repos mérité, il faudra faire gravir quelques étapes aux enfants : les coucher (solution : chloroforme), les consoler (solution : prendre dans vos bras et sur vous pour ruiner votre tee-shirt de sécrétions nasales), les rassurer (solution : « Doudou est là, enfin… »), les faire manger (solution : tous aux abris ! Le plus intelligent reste de sortir de la pièce et réapparaître après la bataille), les laver (solution : les couler) et les distraire (solution : jouer à Qui fera le moins de bruit ?). J’ajouterais pour ce dernier que c’est peine perdue que de vouloir faire preuve d’imagination puisque fatalement ils finiront derrière un iPad à péter les scores de papa, sur Angry Birds.

Haaa les enfants ! Quelle magique… magi… magiqueeeuuuh… perte de temps !

L’avantage avec ces monstres c’est qu’ils ne sont pas difficiles en matière de nourriture dès lors que l’on ne touche pas à tout ce qui est légumes verts, orange, marron, bleus ou violets (Oui bleu !). Vous pouvez donc, sans crainte, faire cuire les pâtes, lire les 13 tomes des Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, vous endormir entre chaque page, et revenir pour servir leur assiette et leur ventre affamé, ils ne broncheront pas sur la cuisson. S’ils ne sont pas difficiles sur la qualité du plat, il n’en reste pas moins qu’ils ont tout de même mauvais goût, alors je les attends maintenant ceux qui me disaient que les enfants sont signe de futur et que l’on voit à travers eux ce qui fera fureur demain ! C’est certainement pour cela que l’on mange moins bien désormais et que l’obésité est en perpétuelle croissance, tout s’explique.

Mais faisons fi de leur préférence culinaire et attachons nous davantage à ce qu’ils vont vous faire subir pendant les 15 à 75 minutes qui vont suivre (c’est selon votre efficacité ou votre patience à sortir le napalm).

« Les enfants, bon on va se coucher, il est 20h30 !
Mais non, il est 20h29. »
Au temps pour moi ! Ne sachant pas que la suite va être couronnée de tous les incidents les plus communs en une même soirée, vous leur accordez cette minute symbolique… Quinze minutes plus tard (Oui Grand Galop sur Gulli, ça endort), vous peinez à leur faire gravir les escaliers de la maison, non pas que ces ewoks aient systématiquement les jambes plus courtes que la hauteur des marches, mais dès le coup de la ½ heure sonnée à l’horloge, ils se transforment en une sorte de trolls des bacs à sable. Ces garnements s’agrippent à vos jambes tels des drogués à leur iPhone et ralentissent l’échéance de la sentence du dodo-time !

Vous faîtes halte à la salle de bain (1er stand/étage). Lavage de dents expédié en 30 secondes… Non, non, non, mes mignons ! Votre baby-sitter s’est vue jouir, pendant sept longues et douloureuses années, d’un traitement pour sa dentition sommaire (mais ceci est une autre histoire), elle ne veut nullement être à l’origine de caries survenues pour une négligence parable. Et si je suis en mesure, de le faire, c’est moi qui vais brosser avec force et acharnement calme et délicatesse ces quenottes si fragiles.
Une fois leur haleine rafraichie pour ne pas souffrir d’asphyxie au moment du « baiser protecteur de bonne nuit », vous poursuivez votre ascension vers la lumière ! Vous y êtes presque… Plus qu’une marche… Enfin ! Vos jambes se libèrent d’un lourd poids, les dents de chacun se desserrent et les langues se délient « J’ai pas fait pipi… ». Grand dieu ! Qu’est-ce qui me retient encore de… Laisse-le moi, je vais te me le f…
Bien ! Gardez votre calme et faîtes preuve de pédagogie : « Bon… euh… tu descends, tu fais pipi, tu ne tires pas la chasse, amène un verre à côté des toilettes et laisse-moi faire la suite. Demain tu diras à papa et maman que je t’ai déjà préparé tes tartines et ton jus de pomme… ». Comment des méthodes expéditives ? La fessée est bientôt interdite, que voulez-vous ? Il faut s’adapter que diable !

Ce n’est pas le tout d’être parvenue jusqu’à la chambre, il faut encore parvenir à appliquer un headshot à l’aide d’un traversin, que le marmot soit dans la bonne ligne de mire du lit et *BIM* : baby-sitter 1 – mouflet 0.
L’avantage de l’oreiller au napalm, c’est que le bruit sourd n’encourage pas la fuite au second chérubin. Que c’est con un môme, alors… Vous mettez au lit sans grande peine le deuxième lardon et hâtez-vous de quitter les lieux sans vous retourner pour éviter ce qui va suivre :

« Maman, elle attend un bébé et toi t’es enceinte ? » (Toujours question directe)
- Pourquoi tu me trouves grosse ? (On me pose une question, je réponds par une autre, et alors ?)
- Non comme ça, pour savoir… (Drôle de curiosité chez ces petits êtres inférieurs…)
- Non je suis pas enceinte. (Maintenant, fuyons !)
- Mais tu veux pas d’enfants ? (Ouuuuuh…)
- C’est juste que… euh… je suis encore jeune et puis je peux pas faire un enfant toute seule. (Faisons simple et clair, maintenant on s’en va !)
- Mais pourquoi ? (Pourquoi toujours des « pourquoi » ? Ha je comprends désormais !)
(Vous l’aurez évidemment compris : c’est une fille.)
- He bien parce que… hmm… ton papa et ta maman ont déjà dû te dire : dans maman… les petites graines… bébé qui pousse… pénis enceinte ! Non ? (Explication bateau, vague mais qui fait véridique)
- Non… (@$*¤#% !)
- Tu demanderas à tes parents. Bonne nuit ! »

Ach bonSoir chère Étudiante, allez-y, vous n'avez qu'un mot à dire ach : êtes-vous enceinte ?

L’interrogatoire est achevé. Attention, on ne se félicite pas encore de ses connaissances en biologie, puisque votre mémoire vous fait défaut et le premier larron, ne voyant plus d’étoiles volées au-dessus de sa tête, se réveille en pleurs, réalisant que la veilleuse n’est pas allumée !
Malgré la lumière du couloir resplendissante, la porte bien trop ouverte pour que l’on puisse croire à une attaque de météorites dans la pièce, ce petit poltron moutard crie au scandale à en faire miauler une chèvre.
Ils connaissent apparemment parfaitement le sens des priorités, mais pas le degré de gravité de la chose, ce sera la prochaine leçon de ces bambins pour la soirée suivante.

Enclenchez la veilleuse et maintenant fuyez deux étages plus bas, sinon autant  vous dire que vous pouvez proscrire toute idée de goûter de nouveau à la liberté.

« Étudiante !
- Oui… *soupir*
- J’ai perdu ma dent !
- Ha bah c’est bien, la petite souris va passer. Tu la mets où d’habitude ? »

J’aurais prononcé des mots dans une langue slave, invoqué le diable, fait venir Michael Jackson menacé de révéler son amoureux à son frère, sa terreur n’aurait pas été plus grande que l’instant présent et le chagrin qui s’en est suivi pas plus humide que mes yeux quand je saurai que je quitte l’École Estienne.
Sa peur s’est répandue jusque dans la chambre du frère qui ne savait pas lui-même pourquoi il pleurait. Les larmes coulaient de plus belle à chaque argument avancé, ou alors on me les contrait par des explications toutes plus logiques les unes que les autres :
- Elle est toute petite, oui mais > la petite souris monte les marches de l’escalier
- Elle ne sort que dans la pièce où la dent est, je la mets dans la cuisine si tu veux, oui mais > elle peut quand même monter (sait-on jamais qu’elle soit devenue enfantivore)
- Je reste en bas, je l’entendrai, oui mais > elle est plus rapide que moi
- Je me mets au milieu de l’escalier pour lui faire peur, oui mais > si elle sort d’un autre endroit ?

Enfin bon ! Parfois, il vaut mieux savoir reconnaître sa défaite, à une bataille pour mieux gagner une guerre.
Ainsi donc, il se trame à travers mes synapses quelques fourberies pour m’échapper de la situation qui s’annonce des plus ennuyeuses. Suivre le protocole suivant :

1. S’emparer de son ordinateur portable pour patienter devant les portes enfantines (ou d’un bilboquet, si vous êtes dépourvus de toute technologie)
2. Dérober une pièce de 2€ de la tirelire de l’enfant
3. Rassurer une dernière fois et puis « Chut ! »
4. Patienter sur divers sites : blog, culture, information, facebook, youtube (avec un casque, cela va de soit)
5. Veiller à ce que les lardons soient rotis
6. Remettre la pièce dans la tirelire de la gamine
7. Descendre avec son ordinateur le plus silencieusement possible si vous ne voulez pas de 8e étape
Hélas…
8. La môme se réveille, pas de panique
9. Remonter pour la rassurer et laisser votre ordinateur
10. Reprendre discrètement la pièce de 2€
11. Dire que vous avez entendu la rongeuse passée
12. Descendre les deux étages pour prouver que vous amenez la preuve de son passage
13. Lui montrer la pièce
14. Poser la pièce et mission accomplie *musique épique*

Je vois venir certains : « Ça aurait pu être bien plus simple : dis-lui la vérité ! ». Oui mais voyez-vous, je ne voulais pas briser la jeunesse à cette enfant, elle s’est occupée de mes jambes pour monter l’escalier, je me suis chargée de son petit déjeuner (à moins que ce ne soit celui du frangin, peu importe). Après ça, non je ne suis pas rancunière, loin de là !
La poursuite de la soirée sera des plus jouissives : ne rien faire, s’étendre telle une larve sur le divan à s’instruire sur tf1 pour savoir comment identifier une maladie rare regarder des DVD. Je vous mets en garde tout de même si vous avez la folie de vous endormir devant une émission. Vous savez devant quoi vos yeux se ferment, cependant vous ignorez encore devant quelle image ils saigneront au réveil. Mais ce n’est rien si les parents ne vous surprennent pas. Autrement je confierais mal, de nouveau, ma progéniture à une débauchée qui profite des écrans 30 pouces pour pouvoir contempler des obscénités.

Bon les enfants dorment, la télévision a décidé de me pourrir la vue à base de grotesques séries et les parents rentrent dans 2h… Bien, bien, bien…
Tout à coup, le coussin de la chaise de la salle à manger qui est à portée de vue se met à bouger tout seul. Diantre quel est ce maléfice ? Je peux percevoir le bruit des boutons métalliques qui raclent le bois du siège, il s’étend ! Mais comment est-ce possible ? Pincez-moi ! Le napalm n’a pas quitté les chambres des marmots. Que faire ?
Soudain le coussin chut de toute sa lourdeur inexpliquée sur le carrelage glacé. Il commençait son avancée vers moi quand je reconnus un chat.
Un chat ? Les parents ont-ils dit posséder un chat ? Pas le moins du monde. Et ce serait leur écorcher les lèvres que de me prévenir qu’un pseudo caméléon se balade dans leur demeure ? Non bien sûr, ça aurait dû me paraître évident : toute famille exemplaire a un papa, une maman, deux mioches et un chat ou chien ou les deux (en somme trois à quatre animaux) ! Mais où ont-ils la tête ? Et si j’y étais allergique ? C’est dans ces moments-là que je comprends mieux les mots « Va mourir ! ».

Après un long périple pendant lequel vous aurez accompli moult réussite qu’aucun(e) autre baby-sitter n’aurait pu espérer, les parents font leur réapparition.
Vous leur dîtes que ça s’est bien passé pour être rappelé une prochaine fois et encore gagner des sous à ne vous surmenez qu’un quart du temps passé dans la maison. Vous mentionnez à peine l’incident de la petite souris, pour que : « Bigre ! Arrêtez de prendre vos enfants encore pour des arriérés (quoique…). Ils ne croient plus au Père Noël mais s’imaginent encore qu’un petit être peut porter de ses minutieuses pattes des pièces, livres, jeux, billes, pogs, carte Pokémon et autres monstres qui devraient plus les effrayer que leur vouer une dévotion sans nom ! ». Oui la magie enfantine me dépasse mais c’est bien trop subjectif !
La semaine suivante, la gamine vient me voir : « Tu sais… (non je sais pas, quelle drôle d’introduction pour une phrase…) et bah papa et maman m’ont dit qu’elle existait pas la petite souris ! ». Ha bah c’est bien de l’apprendre maintenant, nous ne sommes que des cobayes, ne l’oublions pas !

Avec une compagnie pareille, comment ne voulez-vous pas avoir peur de lui faire une béquille ?

Mon expédition s’achève à ce moment-là pour cette soirée, les parents sont de retour, je les attends sur le pas de la porte pour que l’un daigne me ram… *CLAC !* Bieeeen je ferai donc le trajet seule… Ça me déglingue tout de même ! Certes nous sommes en banlieue (chic) parisienne, mais ce n’est pas une raison pour laisser rentrer seule une étudiante qui vient de survivre à une ascension périlleuse des escaliers, un ras de marée de larmes et des cris à en faire trembler et s’écrouler les cloisons, des animaux sortant de nulle part. J’ai 20 minutes de marche à pied, encombrée de mon ordinateur, mon sac de cours et habillé petits talons et robe de sortie (l’occasion ? ce n’est pas la question).

Amis de la sécurité, bonsoir ! J’étais saine et sauve en arrivant à bon port.

Je vous entends !
Vous direz que je n’éprouve que du mépris pour ces créatures inférieures que sont les enfants, mais je nierais vos propos. Certains ont beaucoup à nous apprendre, j’illustrerai mes dires avec un exemple rapporté :

Alors que son assiette se vidait, le gamin ne faisait que redoubler d’effort pour ne laisser aucun petit pois dans sa gamelle. Ayant de la peine pour lui, sa baby-sitter lui tend gentiment une cuillère pour qu’il gagne en efficacité. Le petit homme se voit honorer de s’être fait enseigner une nouvelle technique de survie en milieu culinaire, il se décide alors à en apprendre une en retour à sa gardienne.
« Quand on pète, faut dire pardon !
- Oui, c’est bien, tu as rai…
- Pardon… »

Ce même enfant va se coucher plus tard, je ne disserterai pas sur les péripéties qui ont rythmées la montée de l’escalier (Pourquoi les enfants ne sont pas au rez-de-chaussée ?! C’est très dangereux et impressionnant pour eux, enfin bon encore un mystère). Une fois le petit homme au lit, la baby-sitter redescend et s’attarde devant les blagues pittoresques d’Arthur sur tf1 « He chérie ! Accroche-toi au pinceau, j’enlève l’échelle ! *wouarf wouarf* Et oui ça m’est arrivé en vrai ! », quand tout à coup !
« J’AI PROMIS !
- Oui c’est bien, tu me l’as dit tout à l’heure de rester sage.
- J’AI PROMIS !
- Oui tu m’as promis d’être sage, alors va au lit.
- Nan j’ai promis ! »
La jeune baby-sitter s’en va monter les marches pour savoir ce qui se passe là-haut. A mesure qu’elle se rapprochait du sommet des marches, une odeur nauséabonde se faisait sentir jusqu’à ce qu’elle tombe sur une galette qui n’était pas dûe à une bouteille de vodka trop rapidement vidée, surtout venant d’un gamin, pas plus âgé que 4 ans.

Décidément cette marmaille ne vous apprendra pas plus que ce qui tourne autour du pipi, caca et vomi. On pourrait les comparer aux faluchards mais ceux-ci y ajoute l’alcool et le sexe : une sale espèce ! Parenthèse terminée.

Alors oui, mes bons, je vous encourage à garder les enfants d’autrui ou à me les confier pour que je puisse leur apprendre deux, trois règles de savoir vivre comme raccompagner la baby-sitter (mais ce n’est pas sans risque pour votre survie psychologique), cependant il va falloir mettre le prix fort. Baby-sitter de luxe non falucharde oblige ! J’aime ce côté salvateur.
Ha la laaa… Vaut mieux en rire qu’en pleurer de s’occuper des mômes, et je ne dis pas ça pour moi.