Le 8 mai 1880 meurt au hameau de Croisset (Canteleu, Seine-Inférieure), Gustave Flaubert, à l’âge de cinquante-neuf ans (il était né le 12 décembre 1821). Gustave Flaubert meurt entre onze heures et midi, terrassé par une hémorragie cérébrale alors même qu’il se préparait à se rendre à Paris d’où il s’était absenté six mois durant. Il travaillait alors à la rédaction de Bouvard et Pécuchet, grande œuvre satirique, entreprise en juin 1874.
Le 11 mai, ses amis (Zola, Goncourt, Maupassant, Coppée, Huysmans, Alexis, Hennique) accompagnent le cercueil depuis l’église de Croisset jusqu’au cimetière monumental de Rouen où Flaubert est inhumé aux côtés des siens, dans la sépulture familiale.
EMMA BOVARY (1856-1857), Troisième partie, extrait du chapitre VIII
Cependant, elle n’était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de sérénité comme si le sacrement l’eût guérie.
Le prêtre ne manqua point d’en faire l’observation, il expliqua, même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l’existence des personnes lorsqu’il le jugeait convenable pour leur salut; et Charles se rappela un jour où, ainsi près de mourir, elle avait reçu la communion.
— Il ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il.
En effet, elle regarda tout autour d’elle, lentement, comme quelqu’un qui se réveille d’un songe, puis, d’une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu’au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et retomba sur l’oreiller.
Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s’éteignent, à la croire déjà morte, sans l’effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l’âme eût fait des bonds pour se détacher. Félicité s’agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s’était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l’appartement. Charles était de l’autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son cœur, comme au contrecoup d’une ruine qui tombe. À mesure que le râle devenait plus fort, l’ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.
Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait :
Souvent la chaleur d’un beau jour
Fait rêver fillette à l’amour.
Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.
Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s’inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.
— L’Aveugle s’écria-t-elle.
Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.
Il souffla bien fort ce jour-là,
Et le jupon court s’envola !
Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus.
Gustave Flaubert, Madame Bovary in Œuvres, Tome I, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, 1951, pp. 622-623. Texte établi et annoté par A. Thibaudet et R. Dumesnil.
UN CŒUR SIMPLE (1876), V, Extrait.
Les herbages envoyaient l’odeur de l’été ; des mouches bourdonnaient; le soleil faisait luire la rivière, chauffait les ardoises. La mère Simon, revenue dans la chambre, s’endormait doucement.
Des coups de cloche la réveillèrent; on sortait des vêpres. Le délire de Félicité tomba. En songeant à la procession, elle la voyait, comme si elle l’eût suivie.
Tous les enfants des écoles, les chantres et les pompiers marchaient sur les trottoirs tandis qu’au milieu de la rue s’avançaient premièrement : le suisse armé de sa hallebarde, le bedeau avec une grande croix, l’instituteur surveillant les gamins, la religieuse inquiète de ses petites filles ; trois des plus mignonnes, frisées comme des anges, jetaient dans l’air des pétales de roses ; le diacre, les bras écartés, modérait la musique ; et deux encenseurs se retournaient à chaque pas vers le Saint-Sacrement, que portait, sous un dais de velours ponceau tenu par quatre fabriciens, M. le curé, dans sa belle chasuble. Un flot de monde se poussait derrière, entre les nappes blanches couvrant le mur des maisons ; et l’on arriva au bas de la côte.
Une sueur froide mouillait les tempes de Félicité. La Simonne l’épongeait avec un linge, en se disant qu’un jour il lui faudrait passer par là.
Le murmure de la foule grossit, fut un moment très fort, s’éloignait.
Une fusillade ébranla les carreaux. C’était les postillons saluant l’ostensoir. Félicité roula ses prunelles, et elle dit, le moins bas qu’elle put:
— « Est-il bien ? » tourmentée du perroquet.
Son agonie commença. Un râle, de plus en plus précipité, lui soulevait les côtes. Des bouillons d’écume venaient aux coins de sa bouche, et tout son corps tremblait.
Bientôt, on distingua le ronflement des ophicléides, les voix claires des enfants, la voix profonde des hommes. Tout se taisait par intervalles, et le battement des pas, que des fleurs amortissaient, faisait le bruit d'un troupeau sur du gazon.
Le clergé parut dans la cour. La Simonne grimpa sur une chaise pour atteindre à l’œil-de-bœuf, et de cette manière dominait le reposoir.
Des guirlandes vertes pendaient sur l’autel, orné d'un falbala en point d'Angleterre. Il y avait au milieu un petit cadre enfermant des reliques, deux orangers dans les angles, et, tout le long, des flambeaux d’argent et des vases en porcelaine, d’où s’élançaient des tournesols, des lis, des pivoines, des digitales, des touffes d’hortensias. Ce monceau de couleurs éclatantes descendait obliquement, du premier étage jusqu’au tapis se prolongeant sur les pavés ; et des choses rares tiraient les yeux. Un sucrier de vermeil avait une couronne de violettes, des pendeloques en pierres d’Alençon brillaient sur de la mousse, deux écrans chinois montraient leurs paysages. Loulou, caché sous des roses, ne laissait voir que son front bleu, pareil à une plaque de lapis.
Les fabriciens, les chantres, les enfants se rangèrent sur les trois côtés de la cour.
Le prêtre gravit lentement les marches, et posa sur la dentelle son grand soleil d’or qui rayonnait. Tous s’agenouillèrent. Il se fit un grand silence. Et les encensoirs, allant à pleine volée, glissaient sur leurs chaînettes.
Une vapeur d’azur monta dans la chambre de Félicité. Elle avança les narines, en la humant avec une sensualité mystique ; puis ferma les paupières. Ses lèvres souriaient. Les mouvements de son cœur se ralentirent un à un, plus vagues chaque fois, plus doux, comme une fontaine s’épuise, comme un écho disparaît ; et, quand elle exhala son dernier souffle, elle crut voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque, planant au-dessus de sa tête.
Gustave Flaubert, Un cœur simple in Trois contes, Éditions Garnier-Flammarion, 1965, pp. 80-81-82-83.
GUSTAVE FLAUBERT
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site Flaubert de Jean-Benoît Guinot [auteur du Dictionnaire Flaubert, CNRS Éditions, 2010]) L’enterrement de Flaubert par Edmond de Goncourt
→ (sur le site Flaubert de Jean-Benoît Guinot) L’enterrement de Flaubert par Emile Zola
■ Gustave Flaubert
sur Terres de femmes ▼
→ 19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
→ 10 février 1851 | Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet (Lettres de Grèce)
→ 16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
→ 26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
→ 26 janvier 1861 | Lettre de Gustave Flaubert à Jules Michelet
→ 12 décembre 1857 | Lettre de Gustave Flaubert à Mademoiselle Leroyer de Chantepie
→ 18 janvier 1862 | Lettre de Gustave Flaubert à Mademoiselle Leroyer de Chantepie
→ 7 avril 1872 | Lettre de Gustave Flaubert à Laure de Maupassant
→ 9 avril 1872 | Lettre de George Sand à Gustave Flaubert
→ 19 juin 1876 | Lettre de Gustave Flaubert à Edma Roger des Genettes
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