Je me suis rendu à mon magasin de livres, de films et de disques préférés pour acheter à ma nièce un cadeau qu'elle souhaitait reçevoir pour son anniversaire.
Je n'ai pas trouvé ce que je cherchais mais, comme bien souvent dans ce magasin je me suis mis à errer dans les allées. Au bout de l'une de celles-ci, un petit kiosque, quelques livres pour enfants entassé sur la gauche comme sur la droite et un auteur qui y est installé, 100% seul.
La première fois que je l'ai vu, j'avais un peu pitié de lui. Écrire un métier si solitaire, la reconnaissance y est rarement directe et le voilà le pauvre, trempé dans le monde social comme une mascotte en forme de cacahuète sur le bord de la route. On le voit, on est gêné comme on le serait devant un quêteux, on l'évite. C'est une quête d'amour et d'attention qui échoue. C'est légèrement triste.
Dans une ancienne vie, à ce même magasin, j'étais jeune employé. Nous avions eu la visite de Marie-Denise Pelletier. Il n'y avait absolument personne pour venir la rencontrer elle et un bien inutile photographe. Notre patron, gêné, nous avait ordonné de prendre une photo de groupe avec elle. J'ai encore la photo. Nous sommes tous là à regarder le photographe autour de la chanteuse aux cheveux de feu. Tout le monde sourit sauf l'artiste. Et moi. Et un collègue, un pote, tout aussi gêné que moi de se retrouver sur la photo accompagné d'une artiste dont nous n'aurions rien voulu posséder dans notre librairie musicale. Les trois qui ne sourient pas sont gênés. C'est une photo que j'aime car elle démontre bien l'humiliation en trois visages.
C'est un peu de cette humiliation que je ressentais en voyant l'auteur tout seul à son kiosque. Pas nécessairement rejeté, simplement ignoré. Ce qui est pire quand on est si près d'une longue file de gens qui n'ont rien à faire sinon d'attendre pour payer ses produits.
Toutefois je l'ai revu une seconde fois dans les mêmes dispositions et au même magasin quelques semaines plus tard. Toujours parfaitement seul. Fixant le vide. S'occupant à l'occasion de placer et déplacer les livres placés sur son kiosque.
Puis cette semaine, longtemps après les deux premières fois, ENCORE ce même auteur, qui discutait cette fois avec un autre homme. (De ski-doo (!)). J'en ai profité pour regarder le nom de l'auteur sur les livres pour enfants et j'ai constaté qu'il avait un triste homonyme des États-Unis.
Robert Blake, l'étatsunien, a été un enfant/acteur reconnu dans les années 40. Il a beaucoup souffert d'un père alcoolique. L'attention qu'il se gagnait à l'école, pour être un visage célèbre sur grand écran, a aussi créé beaucoup d'hostilité de la part d'autres élèves jaloux et il a dû se défendre si souvent qu'il a été expulsé de plusieurs écoles en raison de ses nombreuses batailles. À 14 ans, sans refuge ni à l'école, ni à la maison, il a fugué. Son adolescence fût une horreur.
Par contre, une fois adulte, Hollywood s'est rappellé de lui et les années 60 lui furent passablement bonnes. Son plus haut fait d'armes étant surement le rôle de Perry Smith en 1967 dans l'adaptation de Richard Brooks du best seller de Truman Capote, In Cold Blood. Les années 70 lui fûrent meilleures encore alors que la télévision lui faisait la part large dans le rôle tître de la série Baretta. Une série qui a raflé des prix et connu beaucoup de succès entre 1975 et 1978.
Le reste de sa carrière est plutôt modeste, principalement acteur de télévision, il a aussi joué dans Lost Highway de David Lynch et dans Money Train avec Wesley Snipes et Woody Harrelson.
Ce dont on se rappelle surtout c'est ce procès duquel il s'est tout juste tiré en 2005.
En 1999, Blake fait le rencontre de Bonnie Lee Bakley, une mangeuse d'homme reconnue pour marier des gens riches et leur sucer leur fortune. Elle l'a déjà fait 9 fois avant de rencontrer Blake. Quand elle le fréquente, elle fréquente aussi le fils de Marlon Brando, Christian. Quand Bakley tombe enceinte, elle fait de la surenchère aux deux amants. Un test de paternité révèle que c'est Robert Blake le père de l'enfant, ce qui n'enchante guère la jeune femme qui prétendait le contraire. Blake marie Bakley en 2000 mais on devine que leur mariage ne transpire pas le bonheur. La femme habite d'ailleurs dans une maison derrière celle de Robert Blake et ils ne partagent plus le même lit.
Le 4 mai 2001, Bonnie Lee Bakley est tuée d'une balle dans la tête quand elle attend Blake dans la voiture. Ce dernier est à ce moment retourné dans le restaurant prétendant avoir oublié quelque chose.
Deux anciens cascadeurs et amis de Robert Blake confessent que celui-ci les as sollicités pour liquider sa femme. Après un long procès médiatisé, Blake est acquitté le jury restant bloqué à 11 contre 1. Blake doit beaucoup à ce 1. Toutefois, les enfants des précédents mariages de la femme assassinée poursuivent Blake au civil et celui-ci devra leur payer 30 millions $ parce que jugé responsable de sa mort.
Blake déclare faillitte. Ce que les gens ont retenu de toute cette attention nouvelle sur Blake dans les années 2000 était qu'on le découvrait extraordinairement stupide.
Je pensais à tout ça en regardant son frêle homonyme. J'avais trouvé une question à lui poser.
"Est-ce votre vrai nom? et si ce n'est pas votre vrai nom, pourquoi avoir choisi un nom associé à un personnage aussi triste?"
Question que je ne lui poserais pas au bout du compte.
Je me la garde pour la quatrième fois que je le verrai seul à son kiosque.
Dans trois semaines, genre.