Pour saluer JLK
Par Jean-Michel Olivier
Certains racontent leur vie comme un roman, en falsifiant les dates, en maquillant l’histoire, en imposant des masques aux personnages qu’on pourrait reconnaître. On appelle ça l’autofiction. Le plus souvent, c’est ennuyeux. Ca sonne faux. Pourtant, ça se vend bien. Les librairies en sont pleines. C’est un signe des temps.
D’autres ne trichent pas. Ils racontent leur vie au fil du rasoir. Ils la passent au scanner de la langue. Sans complaisance, ni narcissisme. Ils tentent de déchiffrer l’énigme d’être en vie, encore, ici-bas, au milieu des fantômes, près de la femme aimée (on ne dira jamais assez l’importance de ces fées protectrices), en voyageant à travers les pays et les livres.
Je parle ici de Jean-Louis Kuffer, journaliste et écrivain. Mais surtout immense lecteur, découvreur de talents, infatigable chroniqueur de la vie littéraire de Suisse romande. Son dernier livre, Chemins de traverse, s’inscrit dans la lignée de L’Ambassade du papillon (2000), des Passions partagées (2004) et de Riches Heures (2009). Il s’agit à la fois d’un journal de lecture et d’un carnet de bord qui couvre les années 2000 à 2005. C’est un livre extraordinaire et passionnant.
JLK est un vampire assoiffé de lectures : Kourouma, Nancy Huston, Chappaz, Chessex, Amos Oz.Il a besoin des livres pour nourrir sa vie, et lui donner un sens. Chez lui, le verbe et la chair sont indissociables. Il faudrait ajouter le verbe aimer. Car la lecture du mode, comme l’écriture, procède d’un même sentiment amoureux. Impossible dans ces pages imprégnées de passion, tantôt mélancoliques et tantôt élégiaques, de distinguer l’amour du monde de l’amour des livres ou de la « bonne amie ».
Lire, écrire, vivre et aimer : ça ne peut être qu’un.
Le livre commence au bord du gouffre : dépression sournoise, vieux démons qui reviennent (l’un d’eux a le visage, ici, de Marius Daniel Popescu, autre vampire, compagnon des dérives alcooliques), tentations suicidaires. Grâce à sa «bonne amie », aux lectures et aux rencontres (car lire, c’est toujours aller à la rencontre de quelqu’un), JLK remonte la pente. Il voyage. Il se lance dans un nouveau livre. Il ouvre un blog devenu culte pour tous les amateurs de littérature (http://carnetsdejlk.hautetfort.com). La vie, toujours, reprend ses droits.
Son journal de bord, entre Amiel et Léautaud, rassemble ces éclats de lumière qui éclairent nos chemins de traverse. Ce sont les fragments d’une vie éparse – images fulgurantes, aphorismes, rêves, méditation sur la douleur, l’amitié ou le partage – qui trouvent leur unité dans l’écriture. Ecrire, n’est-ce pas résister à ce qui nous divise ?
Le 15 mai prochain, Jean-Louis Kuffer quittera son poste de chroniqueur littéraire au journal 24Heures après quarante années de bons et loyaux services. Pour lui, sans doute, rien ne changera. Il continuera à lire et à écrire, à vivre et à aimer. Mais ses lecteurs redoutent ce moment. Le vide qu’il va laisser dans la presse romande.
(Cet article a paru ce samedi 12 mai dans Le Nouvelliste, quotidien principal du Valais)