Lame la menace
Tout a commencé un soir de jour férié, sur le quai de la ligne 7 à Place d'Italie. Le soleil avait chauffé nos corps rabougris de l'hiver, la lumière printanière avait ravi nos rétines. Nous nous apprêtions à rentrer dans nos chaumières.
La rame qui déboucha du tunnel portant le nom d’une autre destination que la mienne. Afin de laisser la place aux voyageurs qui descendaient ou se préparaient à monter, je reculai vers le fond du quai près des quelques sièges déjà occupés. Le regard tourné vers mes propres pensées, je n’observais pas mes co-voyageurs comme je le fais d’habitude en vue de la rédaction du prochain article, jour férié oblige…
Lorsque soudain, j’entendis un bruit de chute de métal sur le quai et un grognement sourd… Je me retournai alors et j’aperçus un énergumène un peu débraillé et bien imbibé qui râlait. Il me lança : « Toi tu me dois deux euros ! »
Je compris alors que ces deux euros représentaient le prix de sa canette de bière qui moussait à présent sur le quai au lieu de son gosier. Ayant probablement été bousculé, vu la foule se mouvant sur le quai, il avait lâché son précieux breuvage. Au regard de son œil vitreux et de ses gestes peu sûrs, il n’était même pas certain qu’il fût bousculé. En tout cas je n’avais touché personne. Je lui répondis gentiment que j’étais désolée mais que je n’avais pas touché sa canette de bière. C’est alors que titubant devant moi il leva le bras, la main dépassant légèrement de son pull un peu trop large et d’un regard noir et haineux hurla « Tu crois que je vais m’amuser avec toi ? »
J’ai mis quelques dixièmes de seconde pour réaliser qu’une lame pointue brillait au creux de la paume de sa main. Un cran d’arrêt était camouflé dans sa manche !
Je ne m’étais jamais trouvée dans une telle situation qui aurait pu me faire peur si je l’avais imaginée auparavant. A postériori je me dis que l’instinct de survie a triomphé de la panique. Je suis restée bien droite, je n’ai plus bougé, je n’ai plus prononcé un mot, je l’ai regardé droit dans les yeux, toute ma concentration était portée sur le mouvement éventuel de la lame, prête à esquiver toute tentative de coup.
Mon regard posé sur lui a dû être sûr et calme et sans doute puissant. Il a baissé la tête et le bras et a disparu dans la foule…
J’imagine que mon regard, le regard de « Lili dans le métro » … un autre regard, ni haine ni peur… m’a été d’un grand secours.