Par Fabienne
L’univers puissant et sulfureux du photographe américain J.P. Witkin se distille pour 5 jours encore dans « le tout Paris » : à la BNF pour une rencontre avec l’art ancien et à la Galerie Baudoin Lebon autour d’oeuvres récentes.
Attablé à gauche de la scène, tout de noir vêtu, Witkin, une fine écharpe à pois autour du cou et de grosses lunettes posées sur le nez, s’exprime avec humour sur une sélection d’œuvres qui ont marqué son parcours de photographe. Nous sommes le 02 avril, ses photographies viennent d’envahir la BNF et ses plus récentes réalisations les murs de la galerie Baudouin Lebon ; l’artiste se prête alors à une masterclass au cours de laquelle il revient sur l’ensemble de son cheminement en proposant un décryptage de 15 œuvres clés.
De sa première photographie incluant des « morceaux de cadavre » avec The Kiss…
J.P. Witkin • The Kiss, 1982
À sa très récente série The Paris Triad…
J.P. Witkin • The Paris Triad, Venus in chains, 2011
En passant par des oeuvres désormais « classiques » et notoires de l’artiste :
J.P. Witkin • Daphne and Apollo, 1990
Le photographe a donné deux heures durant, matière à aborder son oeuvre -macabre, sensuelle et controversée-, en revenant, à grand renfort d’anecdotes, sur leur génèse.
Witkin, en quelques éléments biographiques…
Né en 1939 à New York, Joel-Peter Witkin vit et travaille à Albuquerque au Nouveau Mexique. Issu d’une famille ouvrière : un père juif et une mère catholique qui se sépareront dans sa prime enfance, Witkin sera élevé dans un contexte religieux et strict.
Cette enfance sera marquée par un évènement macabre : il est témoin à 6 ans d’un accident de voiture sordide au cours duquel une petite fille est décapitée. L’artiste se dira plus tard profondément touché par cette première expérience de la mort.
La photographie aura très tôt une place prégnante dans sa vie –s’il s’amuse à dire être né avec un appareil photo à la main-, ce ne sera qu’à partir de l’adolescence que cette passion va réellement commencer à s’exprimer. Se penchant alors déjà sur la thématique des « monstres ». De longues études en sculpture aux beaux-arts, suivies de « jobs alimentaires » ne l’empêcheront pas de poursuivre son parcours artistique.
C’est aujourd’hui près d’un demi-siècle de production d’une oeuvre singulière, troublante, érotisée à l’extrême et qui suscite des réactions toutes aussi « fortes » que son art : fascination morbide et effroyable répulsion habitent ses spectateurs ! Son oeuvre prend le contre-pied de ce qui est l’essence même de son média de prédilection. Avec Witkin les principes de reproductibilité ou « d’instant décisif » n’ont plus sens. Ses tirages s’inscrivent dans un long processus : la photographie est longuement préméditée et orchestrée, « croquée » en amont et retravaillée par la suite. « Victime » de manipulations souvent irréversibles -à même le négatif ou le tirage- : grattée, découpée, collée, peinte. Ces interventions radicales font de chaque oeuvre une pièce unique.
Dialogues féconds et obscurs à la BNF
La BNF, a laissé à JP Witkin la liberté de faire sa sélection dans les collections du département des estampes et de la photographie et de permettre ainsi un dialogue entre son oeuvre et une iconographie ancienne dans laquelle s’invite déjà quelques bribes de l’univers Witkin.
Cette confrontation enrichit considérablement la rencontre avec l’art de Witkin, elle permet d’appréhender l’influence affirmée et le gout prononcé qu’à l’artiste, pour les références historiques, le sacré et les corps écorchés ou torturés. Ces références historiques et plastiques abondent très largement dans le travail de Witkin, cette confrontation éclaire la profonde imprégnation de l’art ancien sur le travail actuel ou passé du photographe. L’artiste se dit profondément attaché à la religion et à l’art classique, il est croyant et produit une œuvre profondément mystique, qui réussit à faire cohabiter mythes, croyances, références et une troublante liberté sexuelle/sensuelle. Les corps meurtris, monstrueux, les chairs mortes, putréfiées sont magnifiés, glorifiés et érotisés.
Un univers influencé par Goya et Bosch, qu’il est fort agréable de découvrir ou de re-découvrir dans un vis-à-vis avec l’art ancien. La cohérence de ces échanges esthétiques et historiques complète avec justesse les propos de Witkin.
Galerie Baudouin Lebon
Pour parfaire cette découverte de l’oeuvre du photographe, la galerie Baudouin Lebon présente depuis le mois d’avril également, des réalisations récentes. Si quelques unes sont également présentées à la BNF, poursuivre le « parcours Witkin » par la galerie permet d’aborder un nouvel aspect du travail du photographe. L’image laisse désormais la place au texte, et les tirages prennent de la couleur. Enfin la peinture y trouve un bel espace d’expression.
Pour les amateurs -le registre Witkin n’est pas à prescrire à tous les publics-, l’exposition à la BNF est à déconseiller aux âmes sensibles et au jeune public mais à découvrir sans plus tarder si vous souhaitez en profiter pour la compléter d’une visite de la galerie Baudouin Lebon : son exposition prend fin dans 5 jours !
Joel-Peter Witkin. Enfer ou Ciel à la BnF, site Richelieu
Du 27 mars 2012 au 1er juillet 2012
5, rue Vivienne – 75002 Paris
et
« Histoire du monde occidental » à la Galerie Baudouin Lebon
Du 28 mars 2012 au 19 mai 2012
8, rue Charles-François Dupuis - 75003 Paris
Articles liés
Quand Moebius invite à la transe...JR : street art en galerie et rencontre au muséeDamien Hirst et ses pois : une invasion à échelle mondiale !