Acte II : 22 avril 2012, Londres
Je n’en reviens pas. Madame B., la gentille fonctionnaire qui avait délibérément forcé les systèmes informatiques de l’Etat à accepter la photo d’extraterrestre qu’on avait prise de MiniPrincesse à 3 jours (« Mais bien sûr que si, c’est une photo de professionnel ») pour qu’on puisse la ramener en Angleterre avec un passeport légal, Madame B. m’a appelée il y a trois jours pour me faire savoir que ma procuration avait été refusée.
Stupéfaction. Vous le saviez, vous, que l’Etat pouvait refuser une procuration ?
Apparemment, je suis déjà inscrite sur les listes électorales de Londres. Ah bon, je ne suis pas inscrite en France ? Si, si. Aussi. Passons sur le fait que je n’ai jamais demandé à apparaître sur les listes électorales en Grande-Bretagne. C’est louche, cette affaire. Quoi qu’il en soit, Madame B. est formelle : je suis inscrite en Grande-Bretagne ET en France, mais je n’ai le droit de voter qu’à Londres. Heureusement que j’ai passé deux heures à faire la queue pour établir une procuration, hein – ah non, c’est vrai, vous étiez là pour le premier acte. OK, vingt minutes montre en main.
Mais à Londres, c’est bien fait : il paraît même qu’il y a DEUX FOIS PLUS de bureaux de vote qu’en 2007. Ouf.
13h07
Je quitte la maison sur la pointe des pieds, vigilante de ne réveiller ni MiniPrincesse ni Prince. M’attendent cinquante minutes de transports en communs avec 3 lignes de métro différentes, mais voyons le verre à moitié plein : je ne suis pas fâchée de pouvoir finir tranquillement le roman que j’essaie péniblement de terminer à raison de cinq minutes par jour entre 22h25 et 22h30.
14h00
Guillerette à l’idée d’effectuer mon devoir de citoyenne, je me pointe au Lycée Français de Londres. Pourquoi avoir choisi cette heure ? Parce que, ma bonne dame, on est dimanche, et élections ou pas, « les Français » doivent être en train de finir leur Paris-Brest ou leur café, à l’heure qu’il est.
Las. « Les Français » sont en train de faire la queue – en tout cas, tous ceux qui, comme moi, se croyaient plus malins que les autres en venant à l’heure du déjeuner (mais n’est-ce pas là la marque du vrai Français que de se croire plus malin que les autres ?). Sur des centaines et des centaines de mètres.
En Française adoucie et disciplinée par la fréquentation des Anglais, je prends place tout au bout de la queue en me félicitant de mon double civisme : ne pas doubler en douce + ne pas faire demi-tour devant la queue parce que voter c’est important = qu’est-ce que l’Etat français a de la chance de me compter parmi ses ressortissants, quand même.
14h07
Quelques mètres derrière moi : « c’est bien la queue de A-à-I, ici ? »
Bingo, mon nom de famille commence par un M (mon nom de jeune fille, hein, comme on l’a vu, il ne faut pas confondre). Je tourne les talons et longe une file environ cinq fois plus longue que celle dans laquelle je me tenais – estimation qui s’avérera juste, puisque les chanceux A-à-I devront patienter 40 minutes pour voter, contre 2h20 pour les I-à-Z.
Je scrute attentivement les visages des malheureux gens de bonne volonté qui piétinent dans la queue. Sur 400 000 Français de Londres, je dois bien en connaître un qui me permettra de gruger la queue discuter pour passer le temps ?
Gagné : tout au bout de la file ou presque (tant pis pour la triche), voici deux camarades blogueuses-françaises-de-Londres (eh oui, c’est un petit monde).
14h21
Bao, Delphine et moi devisons gaiement, je leur fais part de mes angoisses de jeune mère expatriée (« Et si je me trouve à court de petits pots endives-artichauts, je fais quoi ? Comment transmettre le français à MiniPrincesse ? Où trouver un pédiatre ? »), bref, c’est trop sympa.
14h58
Le vent se lève.
15h10
Il commence à faire frisquet, sur les trottoirs de South Kensington.
15h18
La cour du Lycée Français est en vue. Avec au moins 300 quidams à l’intérieur.
(merci Delphine pour la photo qui respecte l’anonymat et tout et tout)
15h21
Je réalise avec stupeur que DEUX FOIS PLUS de bureaux de vote = DEUX bureaux de vote. Pour 400 000 Français.
15h35
C’est pire qu’Eurodisney, ici. Et pas moyen de dégainer son FastPass, le coupe-file version rêve américain. Liberté, égalité et fraternité oblige, le seul moyen de tricher éviter la queue, c’est de brandir un bébé de moins de 16 mois. Pas 1 an, pas 18 mois, pas 2 ans : 16 mois. C’est comme le coup du A-à-I, ne me demandez pas comment le Consulat Français parvient à ce genre de décision. Et dire que je me suis débarrassée de MiniPrincesse le seul jour où ça servait à quelque chose d’avoir un môme.
15h59
Sous la pluie, c’est moins drôle.
16h01
J’offre un bout de mon mini-parapluie à une sympathique inconnue derrière moi. C’est beau, la solidarité citoyenne.
16h10
Je suis prise d’un sursaut d’optimisme. « On n’a jamais été aussi près » ! m’exclamé-je à qui veut bien l’entendre.
16h12
Enfin, le Graal : la cantine du Lycée Français. Ca sent le chien mouillé, mais c’est pas grave : je vais VOTER. Bientôt.
16h15
A mon grand soulagement autant qu’à ma grande surprise, j’apparais bien sur la liste électorale : « Eva in London ». C’est moi. Je grommelle – on ne se refait pas – que je n’ai jamais demandé à y figurer, mais mon interlocuteur hausse les épaules en répliquant que cela a dû être fait à l’insu de mon plein gré lors d’une formalité quelconque. Au hasard, lorsque j’ai fait refaire mon passeport pour prendre le nom extrêmement compliqué et imprononçable de mon hongrois de mari.
16h22
Aucun des trois contrôles ne révèle que je suis en train de commettre une fraude d’identité.
16h23
« Eva in London : a voté ».
(durée de l’acte II : 4 heures et 8 minutes, transports compris)
Au prochain et dernier acte : où Eva in London obtient d’être conduite au bureau de vote par le chauffeur du Consul (pour de vrai).