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Fuseler la fureur

Publié le 16 mai 2012 par Ctrltab

Fuseler la fureur

La première fois où nous avons fait l’amour, une odeur de chocolat a envahi la pièce. Sous les draps, une émanation ronde et âcre s’est échappée. J’ai léché sa peau de rousse constellée d’éphélides. Dans sa bouche, elle a pris mon sexe. Fontaine de cacao amer.

Nous étions à l’hôtel. Un deux étoiles. Le papier peint à fleur se décollait des murs. Le plafond bas nous embrassait. La lumière était diffuse à travers les rideaux transparents. La moquette douce amortissait à peine les ébats des chambres voisines aux cloisons trop fines.

J’étais de passage en ville. Nous avions déambulé toute la journée dans les rues. Elle se refusait à moi. Elle aimait ailleurs, disait-elle. Moi aussi, je lui répondais, et alors quelle importance ? La fréquentation des corps amène à d’autres. L’histoire de la multiplication des pains, tu ne connais pas ? Si je te touche, ta salive se transformera en vin et de tes lèvres émanera de la liqueur. Elle a souri, rêveuse. Liquide. Et moi déjà si dur. J’ai effleuré sa main, elle s’est engouffrée dans la mienne.

Le grand jeu donc. C’est ce qu’elle voulait. Je l’ai amenée dîner. Dans une brasserie chic, de haut standing, où se mêlent Japonais en quête du génie français et bobos blasés par tant de siècles de magnificence passée.

Ses doigts étaient longs et fins. J’aimais comment ils s’emparaient de la fourchette pour la planter sans pitié dans le steak. Un bruissement sec, un geste net, elle découpait la viande avec appétit. Je la devinais sanguine, ma belle rousse. Elle mangeait tout en palabrant. Paroles sans queue ni tête qui avaient sûrement la vertu magique de la protéger de ses propres désirs. J’ai coupé court, je lui ai demandé son signe astral. C’était sûrement ça le problème. Elle m’a répondu : scorpion. Je me suis aussitôt vu la baisant, ouverte et ses bras, pinces tentaculaires, m’agrippaient dans le dos pour mieux m’immoler.

Elle a étouffé un petit cri. Une souris se faufilait entre les chaises du restaurant. J’ai eu peur qu’elle me jouât l’hystérie américaine, les hauts le cœur et je ne peux pas rester ici une minute de plus, c’est vraiment trop dégoûtant, partons ! Je crois que j’aurais aussitôt débandé. Mais, non, elle est restée calme, placide, légèrement écœurée et curieuse. Excitante.

Pour détourner la tension entre nous, nous avons parlé avec la serveuse des cafards et autres morpions qui hantaient les cuisines réputées. Ici, il n’y avait pas de danger, rien à craindre, quelques minuscules rongeurs innocents mais de sales bêtes, aucune, ça, vous pouvez le croire, Madame, Monsieur. Et elle nous a jeté un sourire torve et complice.


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