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Max | Des yeux bleus, des épines et des fleurs

Publié le 21 mai 2012 par Aragon

barbastro 086.JPGJe sais pas pourquoi, mais je pensais à Elvis, je m'étais levé avec cette chanson dans ma tête. "Blue eyes" que Bashung avait incomparablement repris, y'avait Willie Nelson aussi... Mais pour l'heure, ma chambre à air avait rendu l'âme et ne ressusciterait pas au troisième jour. Impossible.

Comme si j'avais pu procéder de même ainsi, avec le plus extrême respect, comme si je l'avais fait du divin front de la Sainte Face ( mais sur quoi avais-je pu passer me demandais-je non extatiquement quand même ?), je retirai du pneu quinze épines noires et longues, parfaitement perfides, fichées dans le caoutchouc garanti pourtant par le vendeur d'Orthez comme béton armé. Pas une de moins. Les épines d'Aragon semblables à celles de Palestine sont redoutables.

Le ciel était ivre de rage en cette fin d'après-midi fin fond de nulle part, ça grondait de partout, le village-halte souhaité si loin encore, la soif intense sourdait en moi : bidon presque vide réduit à peau de chagrin sec, les canyons si profonds, monter descendre, remonter redescendre dans la caillasse, la pierraille avide de sueur tombée en perfusion sur elle :  goutte à goutte, cinq heures que ça durait ! Soleil de plomb, sueur intense et les vélos que l'on poussait à la main dans ces escarpements rocheux, comme des ânes ou des mulets.  Où était Al'quezar ? Elvis était toujours bizarrement dans ma tête.

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Le petit groupe s'étalait comme la caravane humaine dans "Aguirre" en début de film qui sortant des nuages, descendait en file distante les rochers avec prudence, patience. Tout était redoutable et si beau à la fois. Les épines, le vide silencieux de la paroi, le ciel et l'enchevêtrement de caillasses.

Falaises frangées en leurs sommets de coquelicots, les champs de blé débordaient presque dans le précipice. Le ciel n'allait pas tarder à tomber sur nos têtes. J'invoquais alors avec une foi retouvée de charbonnier, en vrac, des dieux anciens et nouveaux, les manes, tout, même d'antiques prières basques briseuses de foudres et de tempêtes. J'en croyais pas mes yeux, ça "marchait". L'orage tournait, allait partir vers la plaine, vers Huesca ou Zaragoza, de grosses gouttes de pluie, épaisses comme de des figues s'écrasaient à présent sur mon visage. Trop rares, elles cessèrent vite.

Puis nous sommes arrivés au village, les cinq cents derniers mètres furent éprouvants tant en montagne la linéarité est grotesque, précaire à l'évocation. C'est en temps qu'elle s'affiche. Une demi-heure pour les parcourir. Arrêts toutes les trois minutes. Les vélos pesaient un poids de pierre ou de plomb, ils n'étaient plus dociles, ni compagnons précieux, ni vélos. Entravements, poids morts, il fallait les pousser pourtant. En haut ils retrouveraient leurs ailes, redeviendraient plumes.

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La place du village parut incongrue après toute cette pierraille avalée. Elle était là pourtant, ombragée, offerte en son bistro ceinturé d'arbres antiques sous un ciel apaisé, redevenu bleu, enfin déchargé de sa haine. Notre objectif immédiat fut alors "de la bière fraîche, de l'eau pour les gourdes, abandonner nos vélos contre les murs".

Je "la" vis alors sous ce ciel apaisé. Je ne vis qu'elle qui souria quand la petite caravane de Vététistes que nous étions, plus morts que vifs prit place à la vie non loin d'elle, trois tables à côté. Elle fumait et buvait un café, si jolie.  Elle était là. Tout simplement.

Avant même de boire, subjugué, je lui demandais la permission de la prendre en photo tant son sourire, son fichu noir Sophiano Lorensque, son attitude, étaient surprenants et jolis... Tellement incroyables - présence irréelle presque - après des heures hallucinées et minérales. Je lui ai dit qu'elle était jolie, elle sourit alors à ma photo.

Il est des jours comme ça, de Presley, de VTT intense, de crevaisons multiples, de rencontre unique, de surprise, de feu, de soif, de réception, de vie bouleversante de vie, de vraie vie ruisselante.


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