Acte III : 6 mai 2012, Londres
Cette fois, je ne vais pas me faire avoir. J’emmène MiniPrincesse sous le bras, et on verra bien qui grille la queue comme une championne, priorité aux moins de 16 mois oblige. Au moins, que ça serve à quelque chose d’avoir un enfant.
14h10
Couches : OK. Petits pots : OK. Doudou : OK. On est presque prêts à partir.
14h18
On change la couche de MiniPrincesse. On est presque prêts à partir.
14h25
Pourquoi elle geint comme ça ? Tu crois qu’elle a faim ? Voyons voir. A observer la manière dont elle ouvre grand la bouche pour la becquée, oui, elle crève la dalle, cette gamine (décidément c’est une habitude). Allez, une petite compote, vite fait. On est presque prêts à partir.
14h38
Il est où son manteau ?
14h42
MiniPrincesse, arrête de te tortiller le temps que ton auguste géniteur t’enfile ton manteau.
14h47
Mais c’est pas possible, il est où son doudou ?
14h49
Cette fois, on y va.
14h52
J’ai oublié mon passeport. Ni convocation ni carte électorale – je n’ai reçu ni l’une ni l’autre – mais après tout, ça ne m’a pas empêchée de voter la dernière fois.
15h05
Nous voici à la gare – ça ira plus vite que le métro, paraît-il. Comme on a loupé le train, on refile une compote à MiniPrincesse, histoire d’avoir la paix.
15h19
Nous nous engouffrons dans le train.
15h22
Une douce voix annonce : « The next station is (ville de banlieue pourrie) ». Prince et moi nous regardons avec effroi. Nous avons pris le train dans la mauvaise direction. Réflexe malin : nous descendons précipitamment.
15h24
Nous apprenons que dans cette accueillante banlieue, il y a deux trains par heure, et le prochain est dans 26 minutes. Hystérique, je traîne Prince et MiniPrincesse hors de la gare (et tac, 2 livres chacun en moins sur nos cartes de transport). Oh, comme c’est accueillant, par ici. Vite, un bus, n’importe lequel.
15h28
Aucun bus ne va là où on veut (loin de la banlieue pourrie et à South Kensington pour aller voter). Résignés, nous prenons le premier bus qui nous dépose au métro.
16h35
1h50 au lieu de 45 minutes pour rallier le Lycée Français. Prince, grand prince (il fallait bien que je la case, celle-là) ne me fait point remarquer que je suis en train de lui saborder son dimanche, avec mes bonnes idées de Française qui cherche à gruger le système.
16h38
Il n’y a personne. Nada. Pas un chat. Prince aurait pu rester tranquillement à roupiller à la maison avec sa fille. Oups.
16h39
Prince se fait refouler à l’entrée sous prétexte qu’il ne vote pas. Malgré cette marque d’estime de l’Etat français, il conserve son calme et part faire faire des tours de poussette à notre MiniPrincesse. Quel homme. Impressionnée, la jeune femme responsable du « filtrage » l’encourage : « Votre femme en a pour cinq minutes, pas plus. Promis ! ». Mais soudain, tout se précipite.
16h40
Je tends mon passeport à une dame à l’air avenant. Elle le regarde. Regarde la liste électorale. Fronce les sourcils. Regarde à nouveau mon passeport. A nouveau la liste électorale.
- Désolée, Madame, vous n’êtes pas sur la liste électorale.
- … ?
- Vous vous appelez bien Eva in London ?
- Oui, c’est ce qui est indiqué sur mon passeport.
- Ah… il semblerait qu’il y ait sur nos listes une Eva in London, née la même année que vous, mais qui n’est pas vous.
Quoi ? Qu’apprends-je ? Il existerait une autre Eva in London ? A London ? Et elle pousserait le vice jusqu’à être née la même année que moi ? Bon. Après tout, ce ne sont pas mes affaires. Moi, je suis là pour voter. Constructive, je lance :
- Alors, pour voter, je fais comment ?
- Ben… vous pouvez pas.
- Je veux voter.
- Allons au bureau de médiation.
- Non. Je veux voter. Je veux voter. Je veux voter. Je veux voter. Je veux voter.
16h49, au bureau de médiation
- Ah, c’est vous la deuxième Eva in London ?
- …
- Madame, il semblerait que vous soyez bien sur les listes à Kentish Town. Il y a deux semaines, nous avons commis une erreur en vous laissant voter à la place de la première Eva in London.
Il va arrêter de me traiter de deuxième, oui ?
- Ca m’est égal. Si elle a pu voter, vous n’avez qu’à faire de même pour moi.
- Malheureusement, nous n’avons pas le droit de vous ajouter à la liste électorale.
- Dommage, parce que je ne bouge pas d’ici tant que vous n’avez pas trouvé de solution. Qu’on se comprenne bien : je perds deux heures à faire une procuration (ils ne sont pas censés savoir que ça n’a pris que vingt minutes) en France, procuration qui a été refusée parce que j’avais été inscrite sur VOS listes électorales par VOUS sans qu’on ne m’ait rien demandé. Ensuite, je reperds cinq heures durant lesquelles je laisse mon bébé et mon mari pour venir faire la queue, il y a deux semaines (ils ne sont pas censés savoir que j’étais bien contente d’avoir la paix pendant cinq heures). Et aujourd’hui, je reperds deux heures pour venir avec mon bébé et mon mari (ils ne sont pas censés savoir que je n’ai pas été fichue de vérifier la destination du train) et VOUS me dites que je n’ai PAS LE DROIT DE VOTER ?
Diatribe prononcée avec la voix qui tremble, les yeux embués de larmes, et tout le touin touin. Ben oui, quand on a dormi 2 heures + 3 heures + 2 heures, on perd vite son calme.
La fonctionnaire, visiblement embêtée :
- Si, si, vous avez le droit de voter.
- Ah ?
- A Kentish Town. Tenez, voici un formulaire qui vous permettra de passer en priorité (devant qui ? Y A PERSONNE !!!).
- Donc, après avoir perdu quasiment DIX HEURES pour voter, vous avez le culot de m’envoyer à l’autre bout de la ville ? Comme si vous ne m’aviez pas déjà suffisamment flingué mon dimanche ?
Silence consterné. Je m’apprête à partir, laissant ostensiblement derrière moi le merveilleux laisser-passer. Je veux bien être citoyenne, mais y a des limites à tout.
- Eva in London, attendez ! Il y a bien une solution.
- ?
- Et si le chauffeur du Consul vous emmenait en voiture ?
Je fais la moue pour bien indiquer que ceci est une bien piètre consolation, mais intérieurement, je suis fébrile. Perdu pour perdu, enfin une petite aventure – et de quoi alimenter un blog qui se languit ! Impassible, je rétorque :
- Bon, si vraiment ça va vite…
16h59
J’indique à Prince que sa femme est sur le point de se faire escorter par le chauffeur du Consul. Mais il en a vu d’autres. Très peu pour lui, l’apparat et le faste. Il rentre à la maison avec MiniPrincesse.
17h25
Coincée dans les embouteillages à Camden Town, je converse agréablement avec Gentil Chauffeur du Consul, découvrant ainsi – en vrac – le massage abdominal chinois, les vertus du qi gong et les mérites du nouveau Collège Français Bilingue de Londres.
17h31
Arrivée au Collège Français Bilingue de Londres, où se tient le vote. Gentil Chauffeur du Consul m’accompagne, pour bien montrer que je suis super importante. Y a pas un chat, à part les nombreux fonctionnaires à qui Gentil Chauffeur claque la bise, mais qu’importe : je présente mon laisser-passer afin de dissiper les doutes : je suis une vraie VIP. Et cette fois, qu’on soit bien clair : Eva in London, c’est moi.
17h33
« Eva in London : a voté »
17h38
Après m’avoir fait visiter les coulisses (comme il sied à une VIP), Gentil Chauffeur du Consul propose gentiment de me ramener à South Kensington. J’accepte avec empressement : j’ai encore des questions sur l’aïkido.
18h39
Retour à la maison.
Durée de l’acte III : 4 heures 29 minutes
Heureusement, pour les législatives, à Londres, on vote en ligne.