Sur une nouvelle noire en chantier. De la difficulté de dire le crime en littérature. D’un roman américain terrifiant de Donald Ray Pollock. Des effets de réel via le nuage numérique et Facebook.
Au Cap d’Agde, Studio Glamour, ce mercredi 23 mai. – Mon ami le Gitan m’ayant réclamé hier la nouvelle que je lui ai promise il y a quelque temps pour un recueil collectif intitulé Léman noir, je me suis attelé ce matin à cette histoire que je mijote depuis des mois et où il sera question de jalousie, d’âge et de criminalité littéraire. En bref, c’est la story d’un critique littéraire vieillissant ferré en matière de roman noir, qui fait par hasard la connaissance d’un jeune Black écrivain impatient de se faire un nom dans le genre et qui, après diverses rencontres, lui soumet son premier manuscrit, captivant à maints égards mais manquant de crédibilité dans l’évocation d’un meurtre par jalousie et dans le récit des années de taule du protagoniste. J’avais amorcé la réflexion sur le sujet du meurtre en littérature lors d’un voyage en train, entre Salzbourg et Vienne où, lisant La force de tuer de Lars Noren dans le wagon-bar, la conversation s’était engagée avec un jeune type qui, assis en face de moi et intrigué par le titre du livre, s’était risqué à interrompre ma lecture en dépit de mon air revêche… Ensuite le dialogue avait été assez carabiné car j’avais poussé mon interlocuteur sur un terrain qui ne lui était pas familier en lui suggérant, sans cesser de lui poser des questions de plus en plus personnelles, de se représenter toutes les situations qui pourraient le faire sortir de sa vie ordinaire de fonctionnaire et le pousser à l’acte criminel.
Ce qui m’intéresse plus particulièrement, en l’occurrence, c’est la grande différence d’âge entre le vieux briscard lecteur et l’auteur dans la vingtaine, le fait que le premier soit très cultivé à l’ancienne et de race blanche, tandis que l’autre est un jeune Africain ambitieux, à la fois intelligent et très instinctif, incarnant la vie même aux yeux du vieux hibou. Ce sont donc deux sphères mimétiques qui se superposent dans la même brève histoire noire, qui finit par le meurtre (fictif) du jeune Noir étranglé par le narrateur de manière littérairement crédible.
Cela s’intitulera Black is Blacky et tel est l’incipit : « Prendre la vie de quelqu’un est une chose énorme, avais-je dit à Blacky, mais il semblait ne pas entendre »…
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Prendre la vie : c’est un leitmotiv omniprésent dans la fiction noire actuelle, où la figure du serial killer s’est développée de manière exponentielle et significative, que Jean-Patrick Manchette expliquait par la tendance à diluer toute responsabilité personnelle dans la sauce des explications psycho-socio-historiques – de crimes en série en crimes de masse. Or on se retrouve dans une sorte d’atmosphère primitive, à coloration biblique, dans la suite de morts atroces relatées dans Le Diable, tout le temps, roman américain récent (2011 en v.o.) précédé d’une rumeur médiatique et publicitaire assimilant l’auteur, Donald Ray Pollock, à Flannery O’Connor ou Cormac Mc Carthy.
Je n’ai lu jusque-là que les 100 premières pages de ce roman effectivement terrifiant, qui mériterait parfaitement la formule de « fantastique social » inventée pour le Voyage de Céline par Guido Ceronetti, mais j’attends d’avoir lu les 369 pages de ce roman pour confirmer son apparentement avec Flannery O’Connor, qui ne me semble justifié qu’en surface.
De fait, la folie « mystique » de Willard Rusell, qui revient en 1945 dans son Ohio natal après avoir dû achever un marine crucifié par les Japonais, et qui va entraîner son fils Arvin dans un délire d’incantations et de sacrifices afin de sauver sa femme Charlotte du cancer, s’apparente bel et bien aux conduites des personnages de Flannery O’Connor, sans le fonds théologique et poétique de celle-ci. Pollock, en revanche, est plus explicitement violent, notamment dans la description hallucinante des deux pseudo-prophètes massacrant la femme d’un des deux en vue de la ressusciter. Cela m’a l’air du sérieux et du lourd, mais je réserve ma conclusion...
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Le soleil étant revenu sur le front de mer du Village naturiste, en régime normalisé par un président tellement normal qu’il nous semble le croiser un peu partout, nous allons nous balader à poil le long des dunes normalement dévolues à cet exercice en revanche poursuivi, en d’autres lieux (en Syrie les femmes se baignaient naguère en longs manteaux lugubres, et ces jours elles ont d’autres soucis…), mais la vraie liberté est ailleurs et c’est à elle que nous pensons plus que jamais, avec toute la reconnaissance de nos peaux au vent et à la mer …
Image: Philip Seelen