Cartagena, c’est une lente succession de gifles. La...

Publié le 25 mai 2012 par Fabrice @poirpom

Cartagena, c’est une lente succession de gifles.

La première est administrée dans le couloir aérien qui mène à la piste d’atterrissage de l’aéroport. Des chemins de terre, des toits en tôle ondulée, des flaques grandes comme des terrains de tennis, un terrain de baseball limé, des chiens errants en meute… À l’instar du commandant de bord, le bidonville qui mène jusqu’à la piste souhaite la bienvenue à tous les passagers du vol 7472 en provenance de Bogota.

Température au sol: 31°C.

Ce n’est qu’un jour plus tard que la meilleure définition du climat sortira de la bouche rieuse d’une brune rigolarde.

L’impression d’être dans sa salle de bains après une bonne douche bien chaude. Et pas moyen d’ouvrir la porte ou la fenêtre pour aérer un peu.

Çà, c’est la deuxième claque. Le climat. Perles de sueur passe d’expression poétique à dure réalité.

Balade en taxi. Au loin, Boca Grande. Un quartier à l’écart du vieux centre historique fortifié. Un jour, sans doute, cette presqu’île devait être un terrain sauvage, quelques bicoques y étaient perdues. Peut-être un village avait-il poussé…

Le jour d’après, les promoteurs sont arrivés. Et des barres de vingt à trente étages ont poussé. Et poussent encore.

Il y a un magnifique projet en cours de construction.

Washington Plaza

12400m2 de zone commerciale. 4000m2 de restaurants avec vue sur mer. Des espaces détente et sport. Un très grand parking.

Des dizaines d’étages.

Un mur qui s’érige vers le ciel. Énième. En plein milieu de la presqu’île.

De près, ces bâtisses sont encore plus flippantes que de loin. Encore une claque.

Direction la Media Luna, une auberge à l’extérieur du vieux centre, dans les vieux faubourgs de la ville. Dans ce quartier, sur les murs, moisissures et couleurs vives se mélangent. Dans les rues, les tongs sont de rigueur pour les touristes, non pas les mocassins. Dans l’auberge, il y a un petit bassin qui trône au milieu de l’immense patio. Quelques palmiers assurent l’ombrage. Une table de ping-pong est sous-exploitée par la clientèle. Les chambres sont simples: toutes de blanches vêtues, six couches dont trois en hauteur. Un oreiller et une paire de draps propres par matelas. Un petit meuble pour y glisser quelques effets personnels mais tout le monde dort avec son gros sac à dos aux pieds, c’est encore le meilleur endroit. Douches et toilettes communes à toutes les chambres (une bonne douzaine). Pas d’eau chaude (car totalement inutile vu le climat).

La clientèle, elle, bulle, sirote des bières les pieds dans l’eau et se reluque gentiment. Anglais(es), Américain-e-s, Israëliens, Colombien-ne-s… une sympathique marmaille trentenaire, en vacances, loin des tracas du quotidien, avec des dollars à cramer.

Au milieu de cette génération perdue prétendument cool, au pied des tours de vingt étages, face à des murs aux couleurs vives et au passé colonial, avec leurs petits culs brûlés par le simili cuir des selles à suspension des vélos de location, il y a les deux superstars internationales de ce périple en Colombie.

K-pu et Gomar.

Gomar Mowgli. Les bras tellement longs qu’elle se marche sur les mains quand elle se promène. Gomar déambule chaque jour comme si elle venait d’être accouchée. À chaque battement de cil, c’est tout nouveau tout beau.

K-pu, c’est le chef de la mini-meute. Full Metal Jacket. Mais sympa. Elle rumine le programme du séjour depuis un mois et demi, depuis qu’elle a planté le boulot à Bogota, depuis que les billets d’avion se sont confirmés. Alors dimanche, à l’arrivée à Bogota, la K-pu les a comme des pastèques. Ça fait un mois et demi qu’elle glande et vadrouille un maximum à Bogota et en Colombie.

Bogota. En balade. Cartagena. En balade. Et ça n’est que le début. Elle veut voir et montrer du pays.

Mercredi soir. Cartagena. Media Luna. Avant, dans le désordre: glande de premier ordre à la plage (surveillés par des dizaines d’étages); balade dans le vieux centre de Cartagena qui a des allures de St-Malo colonial, fric et boutiques tendance inclus; ceviche brutalement délicieux dégoté dans une petite rue, sur les bons conseils de Papa Tiger et Maman Mésange, les parents de K-pu, qui ont traîné dans le coin deux mois plus tôt.

Sur la plage, les vendeurs ambulants harcèlent. Pas plus de quatre-vingt-dix secondes de répit entre un vendeur de lunettes de soleil, une masseuse et un vendeur de crustacés. Et là, c’est hors saison. Les mecs ont faim, très faim, mais pas grand chose à croquer. Les plages sont méchamment vides.

Dans le vieux centre fortifié, les boutiques sédentaires alpaguent les portefeuilles.

Dans les faubourgs, tout le monde a tout le temps quelques chose à vendre. Tout le temps. L’argent du tourisme préserve des lieux. Remet en état des façades. Conserve des architectures. Et bien d’autres choses. Mais il altère aussi les comportements. Transforme parfois des petits poissons en requins de baudruche.

El Boliche. Le spot à ceviche. Perdu. Du jazz en fond musical dans un pays qui dégueule de salsa, de merengue, de reggaeton et autres latinoiseries du genre à la qualité très inégale. Derrière le comptoir-cuisine, le mec parle peu. Madame prend les commandes - Seul un couple est présent en arrivant. Sur la carte, ceviches de toutes les couleurs, à toutes les sauces. Avec de la mangue. Ou de la tomate. Ou de la crème. Un poisson frais, cuit dans le citron. Une préparation soignée, à la commande.

Le repas a une gueule d’oasis au milieu de la chaleur ambiante. Claque.

Mercredi soir, donc. Le soir de la teuf hebdomadaire du Media Luna. Sur la terrasse. Trois ou quatre bières déjà. Et K-pu, qui souffre peut-être du mal du pays, tombe quelques questions. Comme çà. Histoire de.

Elle est à Bogota depuis novembre 2011. Un seul passage éclair en France de cinq jours fin décembre. Retour en France prévu vers le 10 juin.

Des questions tombent donc. Chacun crache Ce qui lui vient spontanément.

Une odeur à Paris?

Le macadam, l’odeur du comptoir du Baron Samedi, l’odeur du métro.

Un bruit?

La ligne 2 quand elle freine, les gamines de la voisine du dessus quand elles crapahutent, les klaxons de la rue du faubourg Saint-Denis.

Un toucher?

La ferraille des poignées de porte du métro, le caoutchouc des Escalators, le zinc d’un comptoir.

Questions et bières s’enchaînent. Et la terrasse se remplit. Jusqu’à dégueuler d’Anglais qui reluquent les Colombiennes qui se trémoussent devant les Américains qui matent les Françaises qui gloussent devant les Hollandais. Ou inversement.

La Media Luna gère son affaire. Tous les clients de l’auberge ont automatiquement accès à l’événement (qui n’est qu’une beuverie polyglotte). Le reste du monde doit faire la queue. Le staff organisateur fait monter les gens au compte-gouttes.

K-pu et Gomar se calent dans un coin. Et persiflent en reluquant la faune alentour. Beaucoup de barres de rire, quelques pas de danse et la fatigue arrive sur le coin de la gueule.

Extinction des feux à une heure du mat’. Raide. Claque. En fond sonore extérieur, la teuf hebdomadaire qui bat son plein. Dans la chambrée, un Colombien et une Américaine sont en pleines négociations.

Réveil à sept heures et demi. Tiens, le Colombien est retourné dans son plumard.

P’tit déj, règlement, salutations cordiales.

Puis quatre heures de minibus pour débouler à Taganga, petit village pittoresque. Au pied de la Sierra Nevada. Vendredi matin, départ pour une excursion de cinq jours. Direction La Ciudad Perdida.

Cinq jours de rando avec une paire de Timb’, trois t-shirts blancs en coton, un pôv’ gilet, deux paires de chaussettes et un bouquin d’Edith Wharton, Le Temps de l’Innocence. Et deux usines à barres de rire sur pattes.

K-pu et Gomar. Mowgli et Full Metal Jacket.

Oh.

Pu.

Tain.