Charles Pierre Péguy

Publié le 26 mai 2012 par Ppleversicateur

Charles Pierre Péguy, écrivain poète de la liberté, de la fraternité et de la dignité, chantre de la nature, marqué par l’histoire de Jeanne d’Arc.

Défenseur de la république, d’une patrie bâtie sur des siècles de christianisme, il ne saurait accepter de monde moderne d'aujourd'hui où l'argent est roi.

Pour lui mai 68 aurait été sans doute « un temps inoubliable de béatitude révolutionnaire » comme en 1898, année où il a fondé le mouvement dreyfusiste.


Citations choisies de Charles Péguy :

« L'homme qui est poète à vingt ans n'est pas poète il est homme. S'il est poète après vingt ans alors il est poète. »

« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. »

« Le triomphe des démagogies est passager mais les ruines sont éternelles. »

« Les patries sont toujours défendues par les gueux livrées par les riches. »

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Mariage de deux tableaux : Meuse par Alfred Bastien et Jeanne d'Arc par Bénouville

Jeanne d’Arc, A Domrémy (1897)

« Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance,
Qui demeures aux prés, où tu coules tout bas.
Meuse, adieu : j’ai déjà commencé ma partance
En des pays nouveaux où tu ne coules pas.

Voici que je m’en vais en des pays nouveaux :
Je ferai la bataille et passerai les fleuves ;
Je m’en vais m’essayer à de nouveaux travaux,
Je m’en vais commencer là-bas des tâches neuves.

Et pendant ce temps-là, Meuse ignorante et douce,
Tu couleras toujours, passante accoutumée,
Dans la vallée heureuse où l’herbe vive pousse,

O Meuse inépuisable et que j’avais aimée.

Un silence.

Tu couleras toujours dans l’heureuse vallée ;
Où tu coulais hier, tu couleras demain.
Tu ne sauras jamais la bergère en allée,
Qui s’amusait, enfant, à creuser de sa main
Des canaux dans la terre, - à jamais écroulés.

La bergère s’en va, délaissant les moutons,
Et la fileuse va, délaissant les fuseaux.
Voici que je m’en vais loin de tes bonnes eaux,
Voici que je m’en vais bien loin de nos maisons.

Meuse qui ne sais rien de la souffrance humaine,
O Meuse inaltérable et douce à toute enfance,
O toi qui ne sais pas l’émoi de la partance,
Toi qui passes toujours et qui ne pars jamais
O toi qui ne sais rien de nos mensonges faux,

O Meuse inaltérable, ô Meuse que j’aimais,


Un silence.

 Quand reviendrai-je ici filer encor la laine ?
Quand verrai-je tes flots qui passent par chez nous ?
Quand nous reverrons-nous ? et nous reverrons-nous ?

Meuse que j’aime encore, ô ma Meuse que j’aime.

Un assez long silence.
Elle va voir si son oncle revient.

O maison de mon père où j’ai filé la laine,
Où, les longs soirs d’hiver, assise au coin du feu,
J’écoutais les chansons de la vieille Lorraine,
Le temps est arrivé que je vous dise adieu.

Tous les soirs passagère en des maisons nouvelles,
J’entendrai des chansons que je ne saurai pas ;
Tous les soirs, au sortir des batailles nouvelles,
J’irai dans des maisons que je ne saurai pas.

Un silence.

Maison de pierre forte où bientôt ceux que j’aime,
Ayant su ma partance, - et mon mensonge aussi, -
Vont désespérément, éplorés de moi-même,
Autour du foyer mort prier à deux genoux,
Autour du foyer mort et trop vite élargi,

Quand pourrai-je le soir filer encor la laine ?
Assise au coin du feu pour les vieilles chansons ;
Quand pourrai-je dormir après avoir prié ?
Dans la maison fidèle et calme à la prière ;

Quand nous reverrons-nous ? et nous reverrons-nous ?
O maison de mon père, ô ma maison que j’aime. »