Révélations du noir

Publié le 26 mai 2012 par Jlk

Sur une nouvelle noire achevée face à la mer. D’un roman terrifiant de Donald Ray Pollock et de ses résonances profondes. De l’imprimatur accordé par Lady L. à Black is Blacky.

Au Cap d’Agde, ce samedi 26 mai. – Une déferlante de débris de méduses nous rappelle, ce matin, la présence de la nature naturelle jusqu’en zone naturiste, et j’en suis naturellement reconnaissant au Seigneur des marées qui brasse et rebrasse les océans tout en foutant un peu la paix à notre mère Méditerranée en son pourtour varié dont cette région s’alanguit en dunes infiniment douces et berceuses. De fait les méduses mortes sont encore du vivant, alors qu’un doigt de goudron suffit à gâcher tout le tonneau marin…

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En achevant ce matin la composition de ma nouvelle noire intitulée Black is Blacky, dans laquelle j’essaie de moduler une réflexion « en acte » sur la représentation littéraire d’un passage à l’acte criminel, je constate une fois de plus combien la fiction est riche de surprises et d’enseignements, déjouant les plans et les intentions trop ordonnées. La chose m’intéresse particulièrement, en l’occurrence, par son effet de réel, par rapport au roman qu’est en train d’écrire mon ami Max Lobe, et plus encore dans la relation involontaire, mais non moins évidente, de mon récit avec la théorie mimétique de René Girard. La nouvelle raconte, grosso modo, comment un vieux lecteur pro, intéressé par le premier livre du nommé Blacky, jeune Africain établi dans les rues chaudes de la froide Geneva International, réagit à la lecture du nouveau roman en chantier du youngster, dont le crime de sang par jalousie lui semble peu crédible. Or ce qui m’a intéressé, en pointant le thème du passage à l’acte, a été de concevoir une mise en scène en milieu naturel, à la fois intimiste, trouble et troublante, où ce que les deux protagonistes ont en commun, malgré les quarante ans qui les séparent, se rejoue dans la mise en abyme du roman qu’ils imaginent l’un et l’autre. Dans la foulée, plusieurs belles idées narratives me sont venues, je crois, dont celle d’une espèce de transfert magique entre le vieux lettré et le jeune auteur, qui ont complètement inversé le dénouement que j’avais initialement imaginé. Je ne sais encore si tout ça tient la route, comme on dit, je ne vais pas tarder à soumettre la chose à Lady L. qui en a apprécié la première moitié, mais ce que je retiens de l’expérience, dans l’immédiat, est un plaisir aussi vif que j’éprouve en lisant les nouvellistes que je tiens pour mes possibles mentors, à savoir Flannery O’Connor, Paul Bowles ou Patricia Highsmith, dans l’inspiration commune des révélations du noir.

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Plus noir que Le Diable, tout le temps, tu meurs. Et mes craintes premières de voir l’auteur, Donald Ray Pollock, se complaire dans l’atroce et l’abject, après cent premières pages insoutenables, cèdent peu à peu, comme dans Catastrophes de Patricia Highsmith, ou comme dans La Route de Cormac McCarthy, devant le dessein manifeste d’un écrivain qu’on a justement rapproché de Flannery o’Connor. Cette suite d’histoires, plus affreuses les unes que les autres, mettent également, comme dans La sagesse dans le sang ou Ce sont les violents qui l’emportent, des prophètes-prédicateurs déjantés ou dégénérés, un ancien combattant de la guerre du Pacifique revenu foudroyé par ce qu’il a vécu, un prêtre pédophile, un couple monstrueux s’attaquant à de jeunes auto-stoppeurs pour les photographier « comme des stars » et les massacrer, un flic justicier basculant dans l’exécution sauvage de la Loi revue selon son goût – bref un pandémonium infernal où seuls quelques êtres, comme dans The Road, portent des relents de lumière ou de conscience. L’obsession du péché, l’ombre portée d’un Dieu méchant et pervers, le viol engendrant le viol: tels sont quelques-un des motifs de cette fresque hallucinante sur fond d’Amérique profonde (cela se passe en Ohio, dans le Midwest de la fameuse Bible Belt) brossée avec une sorte de vigueur visionnaire, dans une langue certes moins cristalline ou pénétrante que celle de Flannery ou de McCarthy – mais il faudrait regarder la traduction française, signée Christophe Mercier, de plus près et avec une meilleure connaissance de l’anglais que la mienne. Bref c’est « du lourd » que ce roman, creusant bien plus profond que les innombrables polars américains que l’on pourrait dire de la face sombre des States, mais j’y reviendrai …

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Après lecture à Lady L., qui m’a fait corriger deux ou trois mots et une conclusion frisant la provoc, ma nouvelle noire Black is Blacky a obtenu sa première imprimatur, en attendant la réaction du Gitan, alias Marius Daniel Popescu, son commanditaire,  et de Max Lobe son dédicataire. Sur quoi nous allons nous régaler de fruits de mer et de vin des Corbières avant de regagner, demain dimanche, nos pénates préalpines..