Jocelyn Caron - Auteur de La police au Québec : soumise au pouvoir politique ? (État du Québec 2012, Boéral)
Québec
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
Les services policiers ont vu leurs pratiques exposées et souvent vertement critiquées lors de la crise étudiante.
La crise sociale que traverse actuellement le Québec est un excellent
outil qui permet de magnifier des problématiques qui autrement
passeraient inaperçues. En effet, le caractère d’exacerbation inhérent à
cette crise en pousse les différents acteurs du conflit au bout de la
logique qui les gouverne habituellement. Parmi ceux-ci, on peut compter
les services policiers au premier rang des organisations qui voient
leurs pratiques exposées et souvent vertement critiquées. Non sans
raison.
Comme les théories de l’administration publique nous l’enseignent, les
organisations ont tendance, si elles ne sont pas soumises à un contrôle
actif et diligent de la part du pouvoir politique, à prendre de
l’expansion dans tous les sens du terme. Augmentation des budgets, de la
liberté d’action et de communication, enflure des organisations,
enfermement dans un mode opératoire d’autorégulation, etc. : les
organisations sont toutes vouées à suivre le même chemin lorsqu’elle
opère sous une autorité molle et complaisante.
À ce titre, les services policiers québécois ne sont pas différents des
autres administrations publiques. Plutôt, elles sont en passe de
devenir de véritable cas d’école en la matière : pis, on voit poindre
chez elles des agissements corporatistes qui visent à faire avancer
leurs propres intérêts avant l’intérêt général.
De multiples exemples
En examinant d’un peu plus près les actions des corps policiers durant
les manifestations de 2012, on voit poindre plusieurs pratiques qui ne
peuvent plus cacher la tendance corporatiste qui s’est infusée dans les
corps de police du Québec
Par exemple, les arrestations de masse, qui seront peut-être bientôt
jugées illégales au Canada, participent à cette logique corporatiste. En
plus de rapporter d’énormes sommes d’argent dans les coffres de l’État,
les arrestations de masse contribuent, grâce à leurs nombres effarants,
à instiller un climat de supposée insurrection. Ainsi, il germe dans la
tête du citoyen et du politicien que les services policiers doivent
agir avec une plus grande liberté et être renforcés afin de réprimer un
désordre plus allégué que réel.
Pire, ce désordre peut même pousser à penser que les services policiers
sont bien servis par la casse et les émeutes. Non seulement les agents
qui travaillent durant ces périodes voient leurs émoluments grossir à
vue d’oeil, mais surtout, il en devient nettement plus facile pour leurs
dirigeants d’exiger du pouvoir politique une augmentation de leurs
budgets et autres pouvoirs. C’est à se demander à quoi bon peuvent
servir les agents provocateurs qui sont régulièrement insérés dans les
manifestations et dont l’existence est avérée - en 2007, la SQ avait dû
admettre leur existence après qu’une vidéo diffusée sur Internet l’a
clairement démontré.
C’est d’ailleurs Internet qui amène chaque jour les preuves
irréfutables du sentiment d’impunité dont jouissent les policiers
québécois. Les vidéos et autres témoignages que l’on y trouve sont
proprement scandaleux : insultes, refus de s’identifier (voire même
suppression des matricules d’identification), menaces, vols, détentions
illégales, arrestations arbitraires, utilisation abusive de la force,
attaques directes envers les journalistes et autres tactiques visant à
soustraire l’action policière de l’oeil des caméras, etc. Pendant les
manifestations de 2012, le Code de déontologie des policiers du Québec,
particulièrement ses articles 5 et 6, aura été systématiquement violé.
Comment les organisations policières auront pu en venir à se sentir
aussi libres d’agir de la sorte ?
Une formidable complaisance
Ces pratiques déplorables ne surviendraient pas si le pouvoir politique
avait le courage de baliser et d’encadrer les organisations policières,
au même titre que les autres administrations publiques. Cependant, il
existe au Québec une véritable culture de complaisance envers les corps
policiers. Assis sur une popularité confirmée et reconfirmée par les
divers baromètres d’opinions des professions, les politiciens mangent
littéralement dans la main des corps policiers comme on a pu le voir
depuis le début de cette crise : aucune critique, mise en garde ou
instruction n’ont émané des autorités municipales ou gouvernementales.
Plutôt, on a loué leur « travail exemplaire ». Pour ceux qui ont eu
affaire aux errements policiers, cette comédie est stupéfiante, voire
choquante.
En fait, les services policiers québécois agissent de la sorte, car ils
n’ont jamais été confrontés à de réels contre-pouvoirs qui
permettraient d’encadrer, de baliser et même parfois, de freiner leur
action. Certes, chaque fois qu’une critique est soulevée, les
politiciens et organisations policières dirigent les mécontents vers les
instances de déontologie policière. Mais celles-ci, pour le citoyen
lambda, sont de véritables farces : procédures complexes et
judiciarisées au maximum, taux de rejets des plaintes élevés, sanctions
ridicules, etc.
D’ailleurs, l’action gouvernementale en matière de réforme des
instances contrôlant le travail des policiers est proprement risible.
Par exemple, le projet de « bureau de surveillance civil » - qui vise à
superviser les enquêtes que les corps policiers mènent sur leurs
camarades lorsqu’il y a mort d’homme résultant d’une action policière -
ne sera au final qu’une usine à gaz. Les organisations policières de
tout acabit se sont littéralement liguées pour diluer le projet à un
point tel qu’il est devenu une coquille vide. Le bureau de surveillance
québécois a tellement été jugé incomplet que l’ancien directeur du même
bureau en Ontario, André Marin, s’est permis de s’immiscer dans le débat
québécois et de juger sévèrement le projet de loi du gouvernement ! […]
Il faut se garder de voir dans ce texte une attaque contre les services
de police, si nécessaires à la sécurité d’une société. L’auteur de ce
texte est d’ailleurs un ancien agent de la paix qui comprend très bien
la relation complexe du triptyque État-police-citoyen. Plutôt, il s’agit
d’un appel à la lucidité qui vise à mettre fin à la quasi-impunité dont
jouissent actuellement les organisations policières québécoises et qui
mine la confiance que les citoyens portent en l’État, ultime institution
démocratique.
sourcele devoir