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Sous une couverture

Publié le 19 mars 2008 par Frédéric Romano
- Moi : Je ne sais pas ce que j’ai, je suis très fatigué…
- Elle : Humhum… et vous dormez beaucoup ?
- Moi : Heu, oui, énormément…
- Elle : Bien… avez-vous des amis ?

C’était un petit studio, bien situé, sur une grande avenue, propre et mignon. C’était au quatrième étage d’un grand immeuble à appartement. Il y avait un couloir à l’entrée qui dispersait sur la gauche la salle de bain et la cuisine et qui aboutissait à une salle de séjour assez spacieuse pour accueillir mon lit, une table et quatre chaises. Au sol, on venait de placer un revêtement caoutchouteux imitation planché. Ce n’était pas forcément beau mais c’était pratique à nettoyer. Le mur arrière était percé d’une large fenêtre qui donnait sur les jardins. C’était chaud en hiver et calme en été. C’était le genre d’endroit dans lequel n’importe quel jeune de vingt ans aurait aimer vivre.

Puzzle

J’avais dix-neuf ans quand je suis arrivé là. C’était en juillet dix-neuf cents nonante neuf. Avant cela, j’avais passé quelques semaines chez mes parents, dans leur nouvelle maison, en attendant que l’appartement se libère. Ce furent les pires semaines de ma vie, des heures à les entendre se disputer et parfois en venir aux mains. Mes amis me téléphonaient pour me dire qu’ils faisaient la fête. C’était la fin de l’année académique. Ils étaient probablement saouls tous les soirs. Pour me changer les idées, je jouais à Sim City sur mon portable tout pourri. Ça me distrayait une heure ou deux puis je supprimais tout. Au final, ça ne faisait rien avancer. Je tournais en boucle, comme un programme bugué. Le premier juillet je me suis retrouvé seul dans ce quarante-cinq mètres carrés. J’aurais du être heureux de cette situation mais j’étais un peu largué dans ces murs nouvellement peints. J’aimais pourtant bien cette salle de bain toute rose…

Les premiers mois ne furent pas les plus terrribles. En septembre, les cours reprenaient et j’oubliais un peu mon mal être. J’essayais de ne pas rentrer trop tôt chez moi pour ne pas être seul. Je m’efforçais à travailler sur mon mémoire mais j’avais un mal de chien à me concentrer. La plupart du temps, je retournais chez moi sans avoir réellement avancé. Je me préparais quelque chose à manger puis je passais la soirée devant la télévision à faire défiler les trois chaînes que mon antenne recevait péniblement. Je terminais sous une couverture, dans mon lit, en boule, jusqu’au lendemain matin. Les mois passèrent et les séjours sous la couette devinrent de plus en plus longs. Je me réveillait à dix heures, puis à onze, midi, treize heures. Je me traînais jusqu’à la douche puis je partais pour les cours. Arrivé à l’université, je restais cinq minutes dans l’auditoire puis je sortais. Je glandais un instant sur le campus, espérant trouver un truc intéressant à faire mais je finissais toujours par rentrer chez moi. Les soirées étaient de plus en plus courtes et le soleil était encore parfois haut dans le ciel quand je rejoignais mon lit. Il y avait désormais un monde sous cette couverture, plus rassurant, moins contraignant. Le sommeil devenait une drogue, l’accoutumance était irrésistible. Pendant presque un an, j’ai dormi la majeure partie de mon temps. C’était dingue…

Je ne peux toujours pas expliquer ce qui s’est passé à cette époque. Une dépression nerveuse, une crise d’identité ? Certainement un peu des deux. C’était un mal être profond, sans réel remède. La douleur était insupportable et le sommeil donnait un semblant de mieux. L’anesthésiant fonctionnait à merveille. Le temps glissait sur moi et je ne ressentais pas les écorchures qu’il laissait sur mon corps et sur mon esprit. Avec le recul, il y eu pourtant du positif à cette période. Petit à petit mon lit devenait un sanctuaire et une révolution naissait sous les couvertures. Je m’enfermais dans cette espèce de chambre de réflexion et, inconsciemment, je planifiais ce qui allait être le plus grand boulversement de ma vie. Il me fallait un nouvel élan, une base pour écrire ma vie sur un autre ton. C’est à cette époque que le scénario s’élabora et que naissèrent les personnages d’une seconde vie. Je voulais rester caché et garder mes secrets mais j’avais toutefois le besoin d’exprimer les choses d’une autre manière, par une autre voie et sous un autre nom. Ce n’était pas vraiment un mensonge mais une projection dans un monde idéal dans lequel j’apprenais à vivre par procuration. C’est dans ces circonstances que naquit mon alter ego, dans cet appartement, sous une couverture, à l’époque la plus difficile de ma vie. Il avait l’apparence de ce que j’aurais du être et possédait le caractère jovial que j’avais tant de mal à exprimer. Il était drôle, timide et optimiste. Il s’appellait Romain.

Je passais encore quelques week-end chez mes parents mais j’y allais souvent avec des pieds de plomb. Je ne me montrais pas très reconnaissant de l’effort qu’ils faisaient pour me supporter. Un dimanche, entre une crise de colère et un excès de bonne humeur, je découvris une publicité à l’arrière d’un magazine : “Pour la signature d’un contrat de vingt-quatre mois, Wanadoo vous offre l’installation de votre connexion internet et trois mois gratuits“. À la même époque, Belgacom offrait l’ouverture des lignes fixes. Je ne réfléchis qu’un instant et je conclus qu’un accès internet m’éloignerait peut être pour quelques temps de mon lit. Romain était d’accord avec moi…


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