La vitesse de la lumière
Avant, quand j’envoyais une lettre, je choisissais toujours un beau timbre. Parfois, la postière me prenait de vitesse et à la place, elle collait un papier autocollant qui affichait le prix. C’est à cette époque que mon amie L. est partie vivre aux États-Unis, il y a 20 ans. Il y avait aussi ces téléphones qui nous immobilisaient parce qu’ils avaient des fils. Quand on téléphonait, on s’asseyait et on parlait, et c’était tout. On faisait attention au temps qu’on y passait pour limiter les frais. Et puis un jour, tout s’est accéléré dans le monde et on s’est retrouvées sur Skype. On s’y donnait rendez-vous comme s’il s’agissait d’un café ou d’un restaurant. C’était plus solennel que le téléphone car il fallait être connectée, branchée sur la bonne application, disposée à s’attarder, à être vu. Mais ensuite, il n’y avait plus de limites, ni dans le temps ni dans l’espace. A cette époque, mon ordinateur avait encore la taille d’un (petit) meuble. On a peu à peu laissé tomber le téléphone (l’image au profit de la voix). Comme nos vies se sont accélérées en même temps que la technologie, on a pris des portables, oublié Skype (déjà ! adaptation hédoniste*) et perdu le téléphone. Finalement, pour L. et moi, c’est le mail qui s’est imposé, c’est une douce présence absence, non invasive, pudique. La rapidité du téléphone avec la discrétion de la lettre. L’écrit immédiat est devenu notre voix secrète, une confidence sur les diverses complications de l’existence. Ma génération a connu la communication lente comme mes parents l’ancien franc. Ils disent : « De mon temps », comme si le temps actuel ne leur appartenait plus ? Mais L. et moi avons quand même gardé un peu de l’ancien temps, un mode de communication qui n’a pas été touché par l’évolution des technologies : le colis. Notez que pour les colis aussi, il y a désormais des solutions ultra rapides. On peut passer commande d’un cadeau en ligne et le faire livrer en 48h. Mais non, on résiste. On choisit la lenteur, on soigne l’emballage. L’emballage, c’est la main, la chaleur, l’intention. L’emballage, c’est l’émotion. Pour L., le colis, c’est l’arrière-goût du pays natal, avec ces bandes collantes qui précisent la vitesse (lent se dit « économique »), des étiquettes destinées à la douane et complétées à la main. Il faut y écrire ce que contient le colis. Sacrilège ! Détruire le mystère du cadeau ? Alors on s’y livre à un jeu d’énigme. En général, on ment sur la marchandise (la peur que le paquet soit kidnappé par une main envieuse). Parfois on dit la vérité mais le suspense demeure jusqu’à l’ouverture. Qu’a-t-elle encore inventé cette fois ? Je suppose que quand on s’expatrie, il arrive un moment où on ne sait plus qui du pays natal ou de l’enfance tient la plus grande part de nostalgie. Le temps et l’espace pleinement éprouvés dans l’attente. Le colis, c’est la nostalgie. On résiste à la vitesse de la lumière, on s’efforce de cultiver la lenteur pour ne pas oublier notre corps au passage. Délicieuse pesanteur.
Sandra Labastie
* adaptation rapide au plaisir, au luxe ou à la facilité qui deviennent en un rien de temps une habitude.
Réponses à Chroniques de l’ordinaire bordelais
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Thierry Curiale dit :
28 mai 2012 à 01:09
Comme c’est beau Sandra cette délicieuse pesanteur ! Cela me rappelle les colis plein de friandises que m’envoyait maman lorsque j’étais en colonie de vacances l’été : mars, treets, smarties (que des produits américains que vantait déjà un marketing consumériste agressif suscitant l’addiction!). Mais ce colis était surtout accompagné d’une lettre de Ma Maman, la mienne, ma lettre, rien que pour moi (ce qui n’était pas toujours le cas de mes friandises…) ! Je la relisais plusieurs fois, je la vivais comme une caresse, une preuve d’attention et de tendresse que je n’oublierai jamais!
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benoit gautier dit :
28 mai 2012 à 07:52
très très jolie cette lecture en ce matin ensoleillé, alangui.
à très vite une prochaine chronique !
B