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Contre les archives orales

Publié le 29 mai 2012 par Antropologia

Nous publions une deuxième intervention de la journée d’étude sur les “Collectes“ du 9 mai 2012.

Bernard Traimond : « Contre les archives orales »

Elles posent des problèmes qu’ont examinés plusieurs chercheurs, notamment historiens. Par exemple, Annette Wieviorka explique que pour le procès Eichmann, les rescapés ont écrits leurs témoignages, les juges en ont choisi certains pour raconter au procès ce qu’ils ont écrit. Tout le problème, c’est fabriquer de l’écrit, transposer l’oral à l’écrit pour faire de l’écrit.

Les archives orales présentent plusieurs aberrations :

-   Une tradition, née au 18ème est celle des monuments (ex : McPherson en Ecosse avec les poèmes d’Ossian en 1760). Elle repose sur l’idée que chez les paysans se trouvent les archives orales de notre passé, une mémoire archaïque. Toutes les nationalités européennes au 19ème siècle se sont fabriquées sur des épopées, construites à partir de l’idée d’épopées originaires dont il ne reste que des fragments qu’il faut reconstituer. Le prototype c’est Bladé.

-   L’intérêt pour la littérature orale a donné le folklore, qui est redevenu à la mode après 68. En 1985, dans La potière jalouse, Lévi-Strauss perpétue encore cette tradition. Or, avec l’arrivée du magnétophone, on peut vérifier ce qui est dit. Par exemple, Goody qui s’intéresse au mythe du Bagré au Ghana l’enregistre en 1960 et 1980 : le mythe a complètement changé. Le magnétophone casse donc le mythe de la permanence.

-   Dans un entretien entre 2 personnes, le contenu dépend de la confiance, de la relation. Il faut aussi souligner l’importance de la langue. Une enquête, c’est d’abord un dialogue. « Toute recherche est d’abord un dialogue avec son objet et c’est ce dialogue qui en permet l’expression… » (Althabe).

-    Pour Foucault, il ne faut pas s’occuper de l’origine mais de l’invention parce que l’on n’a pas d’informations sur la première.  Les inventions de traditions sont d’ailleurs devenues à la mode depuis le livre d’Hobsbawm et Ranger (1983). Travailler sur les sources disponibles, c’est s’attacher à l’importance des mots. Par exemple celui d’opinion publique a été fabriqué au 18ème siècle pour contredire la seule opinion qui existait : celle du roi. Dans l’article de Bourdieu « l’opinion publique n’existe pas » la question qui se pose est « à quoi ça sert » ?

-   La question du contexte. Historiquement, le contexte c’était le décor. Or le contexte n’est pas un décor mais ce qui explique la situation (ex : l’article de Geertz sur le combat de coqs.) Dans des informations précises se trouve le contexte.

L’importance du processus d’enquête

Il faut faire du processus d’enquête un instrument de connaissance, l’enquête et l’écriture font partie de la recherche. Conséquences : il n’y a pas de distinction entre le chercheur et son objet, on n’a pas des résultats mais un processus. Il faut alors multiplier les réflexions sur les procédés d’écriture. Il est absurde de distinguer les chercheurs, l’ethnographie, l’ethnologie, l’anthropologie, partition inventée par Mauss pour justifier le fait qu’il n’enquête pas. La distance de Lévi-Strauss est aberrante : moins on a d’informations, plus on peut réfléchir, c’est absurde !

En conclusion

Il ne peut y avoir d’archives orales utilisées par d’autres car c’est celui qui a fait l’enquête qui peut les utiliser. On ne peut pas séparer l’enquête de l’enquêteur et du contexte dans lequel elle a été faite. C’est d’ailleurs la force de l’anthropologie : comme c’est l’anthropologue qui enquête, il sait comment ça s’est passé, il peut interpréter, ne pas confondre une vérité et un mensonge.



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