Le Podcast Edito: Destination Bucarest!

Publié le 10 juin 2012 par Podcastjournal @Podcast_Journal
Les temps changent. Finie la surveillance rapprochée par la Securitate dont les agents vous suivaient ostensiblement à moins de dix mètres dans les rues enneigées de la ville. Terminées les glaces sans tain collées sur le mur de la chambre à coucher de votre hôtel. Vingt-trois ans après la chute des Ceausescu en décembre 1989, la Roumanie a, fort heureusement, changé de physionomie. Sinon de nature. Embarquement immédiat avec la compagnie Lufthansa qui offre le meilleur rapport qualité-prix et dont la légendaire Pünktlichkeit (exactitude) ne vous laissera même pas le temps de déguster une Bratwurst et de boire une Paulaner à l’escale de Frankfort ou à celle de Munich.

Transformé en dédale de rues festives où s’égrènent d’interminables chapelets de bars, de brasseries et autres restaurants -on se croirait dans le vieux Montpellier-, le quartier historique de Lipscani accueille une jeunesse décomplexée et assoiffée de connaissances sur le vaste monde. Des jeunes brillants, diplômés mais aussi frustrés de perspectives. Démotivées par des salaires misérables -un jeune fonctionnaire du Ministère des affaires sociales gagne l’équivalent de trois-cents euros par mois- les générations futures de ce pays qui tourne au ralenti, ont les yeux rivés vers d’autres horizons. Il faudra attendre que ces nouvelles élites remplacent les plus anciennes. A condition que les secondes veuillent bien céder la place et que les premières acceptent de revenir de l’étranger. A condition aussi que cesse la corruption, mal endémique du pays: récemment, raconte un responsable roumain, "une importante subvention européenne pour une infrastructure routière a mystérieusement disparu dans un tiroir à double-fond gouvernemental". "Welcome to Romania", lance, amusé, un jeune imitant Borat! Ceux et celles qui n’ont pas eu la chance de profiter de cet "Euro-million" vagabondent: ils commencent par un mojito -un peu flottard pour à peine deux euros- à "l'Interbelic", enchaînent avec un shawarma compétitif au "Dristor" (moins de deux euros la portion pantagruélique) où une trentaine de serveurs en uniforme, bons de commande en mains et coincés derrière un comptoir rappellent davantage les courtiers vociférant autour de la corbeille du Palais Brongniart. Repus, les étudiants se traînent au bar "Bordellos" -cela ne s’invente pas- pour une ultime rasade. Avant de se rendre en taxi (30 centimes d’euro du kilomètre) au "Green House", le meilleur club de jazz live de la rue Victoriei où se produisent des instrumentistes étrangers de renom. Juste en face, le club gay "Alexander", au pied d’un immeuble où résident des responsables politiques, semble gardé par deux policiers armés et nourris aux stéroïdes anabolisants. Questionnés sur leur éventuelle présence au sein de l’établissement situé en sous-sol, les deux mastodontes répondent en plagiant Talleyrand: "point trop d’imagination!". Seule l’enseigne du "Moulin rouge", nom d’un ancien cabaret, trahit la présence de ces deux lieux sur cet immense boulevard. Le général américain Pershing avait raison sur la réputation française.

Riche d’un patrimoine immobilier laissé à l’abandon, à l’exception du restaurant "Hanu Berarilor" sis dans une maison d'architecture "brancoveanu", le "petit Paris", comme l’appellent encore quelques Roumains, n’a plus de la capitale que le nom. Ici, on parle de plus en plus anglais. Ou espagnol. Une influence ibérique entretenue par le subtil mais redoutable activisme de la Conseillère culturelle près l’Ambassade d’Espagne Maria Mendez de Valdivia. Laquelle aurait même exhumé des documents historiques attestant de la présence de mineurs espagnols en Roumanie dès le VIème siècle. Bucarest devient une vitrine aux dépens du reste d’un pays économiquement pauvre. Et ce, malgré une émigration que les autorités roumaines endiguent de manière sélective: elles ne cherchent pas à "retenir ceux des habitants qui les gênent et que l’on retrouve plus en Europe occidentale", confie sous couvert d’anonymat un diplomate européen. A Nice, on connaît ceux qui veulent absolument nettoyer votre pare-brise en sortant de l’aéroport. Les talents locaux ne manquent pourtant pas. Artistiques à l’image de la célèbre peintre abstraite Marinela Preda Sânc. Les Roumains sont aussi musiciens dans l’âme. En témoignent les programmes de l’Athénée roumain, étonnant édifice circulaire à l’impressionnante acoustique et qui abrite les productions de la philharmonie Georges Enescu. Un soir, un chef d’orchestre chinois ose et réussit l’interprétation de la "Cantata profana", œuvre pour ténor, baryton, chœur et orchestre de Béla Bartók rarement jouée en raison de sa complexité. Le lendemain, l’Opéra national de Bucarest programme une mise en espace de "Turandot" magistralement dirigé par le maestro Tiberiu Soare. Des artistes dont certains, très critiques sur la dénaturation du centre-ville, préfèrent se réfugier dans le lieu alternatif de Bucarest: le "Shift", près de la Piata Romana, offre dans un agréable patio ce mélange de laisser-aller et de bien-être. Signe de l’ambiance détendue malgré la qualité des plats servis, la serveuse oublie d’inclure les desserts et les cafés dans l’addition ou vous rend de la monnaie en trop. Elle ne s’en émeut pas outre-mesure.

La Roumanie, ce n’est pas seulement la porte de l’Orient, comme l’affirme le gérant du "Nirvana", café enfumé par les volutes de narguilés à côté de la Place de la révolution. Mais aussi la porte d’entrée de la Moldavie: un enjeu stratégique pour cette petite enclave limitrophe tiraillée entre l’Est et l’Ouest. C’est dire le jeu serré de domino entre la Russie et les États-Unis pour Chisinau comme pour Bucarest.