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Le garçon d’hier

Publié le 12 juin 2012 par Ctrltab

Le garçon d’hier

Lui, c’est un garçon d’hier, au charme déjà un peu passé. L’année dernière a toujours l’air de lui manquer. C’est affiché sur ses traits : les yeux amandes très noirs, les sourcils épais, immenses, les cheveux légèrement bouclés, la bouche sensuelle, la peau pâle. Il a une gueule faite pour le noir et blanc. Un air de Charles Aznavour et de 33 tours. Son côté arménien sûrement. Il porte toujours un pantalon à pli et des bretelles. Il est très grand. Beau, je crois. Une allure dégingandée et mélancolique, celle d’un mec d’après-guerre qui n’a pas assez mangé depuis des années.

Il s’était trouvé un job à sa mesure. Il l’a inventé lui-même. Il est l’amoureux de l’hôtel de ville. Parfois, il ose même le béret pour faire plaisir à ces dames. Aux américaines qui gloussent sous leur gloss. Il les invite à enfiler un trench au-dessus de leur bermudas et remplace leurs baskets par des talons aiguilles. Puis il les entraîne à l’angle de la rue Rivoli.

Il les dépasse bien d’une tête. Là, d’un crochet du bras, il les enlace, le coude contre leur cou, et dépose sur leurs lèvres un tendre baiser. Clic clac, la réplique immédiate de la photo de Doisneau est immortalisée à l’instant. Pour cinq euros seulement. Elles repartent avec l’image d’une idylle vécue avec l’inconnu le plus célèbre au monde.

Je ne sais pas ce qu’il lui plait exactement dans cette facétie. Je le soupçonne d’avoir envie de goûter toutes les lèvres féminines. Telle une Cendrillon moderne qui chercherait la bonne chaussure à ses pieds. L’amour, c’est toujours une histoire d’emboîtement. C’est peut-être juste aussi une question d’argent, de facilité, de paresse, d’ennui ou de performance artistique…

Le soir, je le retrouve parfois. Il a les lèvres gonflées. J’ai toujours peur qu’il m’annonce son prochain départ pour l’Iowa ou un accident de travail. Parce que j’imagine qu’il finira par en étouffer une ou en étrangler une, un de ces jours… C’est bête. C’est un peu cliché. Mais j’aimerais bien qu’il cesse de travailler pour les souvenirs des autres. Qu’il sorte de son cadre. Pour entrer un jour dans le présent. Et dans mon avenir peut-être ?


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