"aujourd'hui les mecs, c'est Almira qui fait le cours. Vous pouvez commencer à rouler les pétards"
Série L Que gagne-t-on en travaillant?
Comme le disait Henri Salvador, "le travail, c'est la santé. Ne rien faire c'est la conserver". La postérité ne nous a pas encore dit si ce brave Henri était à inscrire au panthéon de la philosophie, mais toujours est-il qu'il a vécu dans l'opulence, l'alcool et les femmes nues jusqu'à ses 90ans, ce qui peut être un argument très recevable dans une dissertation de philo. Par contre, le travail d'Henri n'est en rien comparable à celui qui attend tous ces braves et fringants bacheliers. En effet, rappelons que l'éternel jeune guyanais a cotisé pour sa retraite en chantant des chansons douces, la mort du lion, l'arrivée de Zorro et autres ritournelles. Si tout le monde bossait dans de telles conditions, le trou de la sécu, ça ferait un moment qu'il serait rebouché.
Alors, que gagne-t-on en travaillant?
Déjà, il faut savoir ce qu'on entend par "travailler". Est ce qu'on peut dire qu'on travaille quand on remplit un formulaire de télé-candidature sur le site du pôle emploi? Quand on voit les compétences requises pour ne pas céder à la rage quand pour la cinquième fois de la semaine, le site est en dérangement, ou pour résumer ses compétences et sa motivation pour un poste qu'on ne connait pas encore en moins de 140 caractères, j'ai envie de dire oui. Or dans ce cas là, il est clair qu'en travaillant, on gagne des cheveux blancs et de l’espérance de vie en moins. Et dans ce cas là, aller à la CAF remplir un formulaire pour toucher le RSA aussi c'est du travail. Et là, ce qu'on gagne, c'est des fourmis dans les jambes et éventuellement des varices. C'est qu'on est tellement nombreux qu'on piétine longtemps, et que la station debout ça peut avoir des conséquences dramatiques sur notre santé.
Parfois, en travaillant, on gagne aussi des insomnies, beaucoup de stress, un cancer lié à la trop grande proximité avec la photocopieuse et pas suffisamment d'argent pour aller faire ses courses au Lidl. Mais tout bien réfléchi, ça s'appelle un stage, et c'est pas un travail, parce que même si tu fais un remplacement de congés maternité, t'es là pour apprendre, alors on devrait purement et simplement oublier cet exemple. Quoi que... si on a le cul bordé de Barilla, ont peut gagner à peine plus du double, tout en gardant les cheveux blancs, les insomnies et le cancer de la photocopieuse: ça s'appelle un job normal, avec un salaire classique (le SMIC).
Depuis que j'ai commencé à réfléchir avec circonspection et grandiloquence à l'épineuse question des gains du travail il y a 4 minutes, j'ai envie de hurler DES SOUS! DES SOUS! DES SOUS! C'est vrai que ça semblerait logique. Tu vas à l'école pour pouvoir passer ton bac. Tu passes ton Bac pour pouvoir faire des études. Et tu fais des études pour pouvoir avoir un travail. Et tu as un travail parce qu'il te faut des sous. Personnellement, si j'avais les poches pleines de caillasses, je ne me casserai pas le fion à aller au turbin tous les jours. Je préfèrerai largement aller me faire dorer la couenne sur une plage des Bahamas. Or mes poches sont vides, et je suis bien obligée de reléguer mes rêves de farniente au second plan au profit de rapports financiers et de rapprochements bancaires. Mais en fait, les sous, c'est ce qu'on AIMERAIT gagner en travaillant. Parce que depuis que je travaille, des sous je devrais en avoir plein. Des tonnes. Des tas. Et ben que dalle. C'est à peine si j'ai de quoi payer les frais d'impression des lettres de rappel que m'envoie la BNP pour que je pense à me rappeler de combler mon découvert abyssal. Pourtant, Dieu sait que je travaille dur (enfin en dehors des pauses café, des RTT, et du temps infiniment long que met mon PC à s'allumer).
Du coup je m'interroge. Depuis que je travaille, j'ai gagné quoi?
- une envie de déposer une plainte pour harcèlement sexuel: une vielle histoire de job d'été ou ma tenue de travail se comptait en millimètre carrés, et ou le QI de mon patron de l'époque était inversement proportionnel à la puissance de ses pulsions physiques.
- la confirmation que j'ai vraiment les mains percées et les pieds palmés: il m'a fallu tenter d'embrasser une carrière de serveuse à pleine bouche pour m'en rendre compte.
- la fibre maternelle. Non je déconne, j'ai fait du babysitting, ce qui est le job de rêve pour toujours penser à prendre sa contraception.
- un crédit à rembourser: la première chose que j'ai fait en signant mon premier CDI? Je suis allée à la banque m'endetter sur 10 ans pour pouvoir aller acheter des bougies à Ikéa.
- une dépression: avant d'avoir les deux pieds dedans, je n'avais pas réalisé que travailler ça voulait dire passer huit heures par jour à faire des trucs chiants comme la mort avec des gens que je ne peux pas blairer.
- une deuxième dépression: il a fallu que je perde mon travail pour réaliser que de ne pas en avoir ça pouvait être un remède bien pire que le mal (mais je suis du genre à cautériser mes plaies avec du vinaigre).
- de la frustration: petite, je rêvais de travailler dans les rayons de Auchan en patins à roulette. Sauf que voilà, sous prétexte que j'avais des bonnes notes, on m'a forcée à avoir de l'ambition et à faire des études. Résultat des courses, j'ai une très grande conscience de ma situation que je trouve autant ennuyeuse qu'un film de Haneke sous titré en coréen et de mon avenir qui sera guère plus glorieux.
- une grande dextérité dans le alt + tab: j'ai bien intégré que le travail était indissociable de l'ennui. Mais heureusement, au travail j'ai internet.
Après, tout ceci n'est que mon avis. Mais enfin bon, puisqu'on me le demande, je dirais que ce qu'on gagne en travaillant, vu l'investissement temps / énergie / selfcontrol ne vaudra jamais le coup. C'est pourquoi je préconise à tous les bacheliers de faire comme se brave Henri qui lui avait tout compris, et de se mettre à l'opérette, ne serait-ce que pour produire des sujets de philo moins déprimants que celui-ci.