Assis à une terrasse de café, un député vitupère : « Il est inadmissible de prôner la dépénalisation d’une substance aussi dangereuse, toxique. C’est un véritable poison pour l’organisme ! C’est toute une jeunesse que l’on veut pervertir ! C’est le laxisme ambiant érigé en système par certains membres de ce nouveau gouvernement ! Je suis scandalisé ! ». Puis, tentant d’apaiser son esprit, il approcha un cendrier, s’empara d’une sorte de cigarette à demi consumée avant de la porter jusqu’à sa bouche. Et d’ajouter le sourire aux lèvres, ainsi que le mégot aux volutes cannabiques : « Rien de tel qu’un bon joint ! »
« Vous comprenez, il est impensable d’envisager la consommation et la vente d’alcool en général, et de vin en particulier » surenchérit-il. « Pouvez-vous imaginer une seule seconde les ravages qu’une telle mesure induirait dans la société ? Les accidents de voiture, les violences conjugales, les troubles du comportement… Si l’on tolère cela, c’est bientôt l’héroïne et la cocaïne qu’ils voudront dépénaliser ! Est-ce donc cela que nous souhaitons pour nos enfants ? » poursuivit-il, présentant le raisin fermenté comme le fruit d’une décadence annoncée.
« Et puis, soyons sérieux. Imaginez vous des débits de boissons alcoolisées à tous les coins de rues, des rayonnages de bouteilles dans les supermarchés, des cours de dégustation de cette drogue addictive et pernicieuse ? Voire pire ! Sa publicité ? Ses lobbies ? Sa consommation décomplexée à tous les repas ? Et puis quoi encore ? Des hectares de vignes pour une production présentée comme une gloire nationale ? Des viticulteurs fleurons de notre patrimoine gastronomique ? La fierté de nos terroirs pendant qu’on y est ? ». Bref, ses arguments ne manquaient pas pour vilipender une agriculture peu compatible avec notre culture.
« Dire qu’il existe des esprits veules pour oser comparer cet horrible breuvage au plaisir d’un bon pétard. Pour oser taire ses vertus relaxantes, apaisantes, bien plus agréables en bouche que n’importe quel antidépresseur à base de molécules de synthèse » ajouta-t-il. « Celui là est une merveille » dit-il, fermant les yeux et soupirant la fumée. « Ça vient d’un petit producteur. Deux hectares de chanvre bio du côté de Kaboul ! ». Avant d’entonner gaiement : « Ah le petit Afghan, qu’on fume sous les tonnelles… »
Ainsi, avec une incohérence qui n’a d’égale que sa mauvaise foi, la législation française continue à considérer un produit nocif, dangereux, donc interdit selon des critères confus et hypocrites. Ces mêmes critères qui permettent à un autre produit potentiellement aussi néfaste en terme de santé publique d’être commercialisé et consommé sans difficulté. Deux poids, deux mesures. Deux lois. Une imposture.
Guillaume Meurice
10/06/2012