Tissu d’absurdités

Publié le 12 mai 2012 par Guillaumemeurice

20 juillet 1969. Neil Armstrong pose un pied conquérant sur le sol éploré d’une Lune taciturne. « Un petit pas pour l’homme mais un grand pas pour l’humanité » déclame-t-il solennellement, conscient de la portée historique de l’instant pour l’ensemble des habitants de la planète Terre, toutes cultures, toutes civilisations, et toutes nations confondues. Puis, il laisse le soin à son collègue Buzz Aldrin de dresser ostensiblement sur la chaste planète, le drapeau des États-Unis d’Amérique. Tel le chien qui se soulage au pied d’un lampadaire, l’être humain n’a pu, une fois encore, s’empêcher de marquer son territoire en souillant l’espace de ses couleurs merdiques.

Quelle réelle signification peut bien comporter un tel acte ? Affirmer la suprématie du peuple américain, seul capable d’un tel exploit ? Pourtant qu’en aurait-il été sans la création des mathématiques, la découverte du principe de gravité, et l’invention de la chambre à combustion ? Tant d’avancées technologiques qui ne semblent pas être l’apanage d’une communauté isolée, regroupée derrière un unique étendard. Un seul morceau de tissu. Une prétendue étoffe des héros.

En France, au soir du 6 mai 2012, la foule bigarrée s’était réunie pour célébrer l’élection d’un nouveau président de la République. À cette occasion, nombreux sont les drapeaux ayant été fièrement exhibés place de la Bastille. Algériens, grecs, marocains, chiliens, basques, bretons… Par des individus visiblement réjouis d’être originaire d’un endroit précis, voire pleinement heureux « d’être nés quelque part ». Un geste immédiatement dénoncé par quelques patriotes autoproclamés considérants que seule la bannière bleu-blanc-rouge aurait du être mise à l’honneur. S’il est concevable qu’un textile coloré ne soit pas totalement dénué de charge symbolique, encore faudrait-il savoir laquelle ? Ainsi débuta une véritable bataille de chiffonniers.

Danger pour les valeurs de la République selon certains. Ouverture salutaire vers d’autres pays selon d’autres. Sans jamais s’interroger sur le lien unissant la personne à l’emblème qu’il exhibe. Par exemple, la croix dite « gammée », symbole d’éternité dans la religion bouddhiste, a-t-elle la même valeur sur une bannière hindoue que sur l’écusson d’un officier nazi ? Ainsi, le drapeau corse a-t-il pareille signification, brandi par un adolescent sur une place parisienne que dans une réunion d’indépendantistes cagoulés ? De même, la bannière tricolore a-t-elle la même résonnance portée par Marianne sur le tableau de Delacroix que dans la main d’un skinhead lors d’un défilé du Front National ?

Force est simplement de déplorer que nombre d’individus peinent à construire leur existence loin d’icônes, aussi laïques fussent-elles, à vénérer. Des bouts de tissus prétendument protecteurs similaires aux doudous de leur enfance. Des détails qui excluent, divisent, cloisonnent. Sans parvenir à se concevoir en tant qu’une seule et même espèce solidaire, les humains, au bord du gouffre, continuent leur fuite en avant.

Ces fameux petits pas pour l’homme, mais ce trépas pour l’humanité.

Guillaume Meurice

12/05/2012