« L’enfer, c’est les autres ». Ainsi Jean-Paul Sartre traduit la complexité des rapports humains, pourtant indissociables de la vie en collectivité. Un enfer pas uniquement pavé de bonnes intentions mais également d’une émotion irraisonnée, viscérale et spontanée : la peur. Cette mauvaise conseillère divise, panique, et ressurgit inexorablement à la veille de chaque échéance électorale importante, portée par les démons dédiabolisés qui de la xénophobie attise la flamme.
À la lumière de cet élément majeur, comment ne pas éprouver une certaine tendresse pour les plus de 6 millions d’électrices et d’électeurs ayant plébiscité leur hypothétique protectrice, tels des enfants réveillés dans la nuit par un terrifiant cauchemar et réclamant leur maman. Des mauvais rêves pourtant potentiellement évitables si cette mère délinquante cessait enfin de les endormir en leur contant des histoires peuplées d’étrangers forcément belliqueux et de musulmans évidemment terroristes. Si ses récits ne présentaient pas inlassablement l’autre comme un ennemi à combattre. Si le marchand de sable ne se muait pas éternellement en marchande de sabre.
Ainsi éviterait-on les réveils difficiles d’une France métissée devenue la hantise des froussards de la République. Ces prolétaires, furieux de voir leurs conditions de travail se dégrader, craignant l’arrivée de main d’oeuvre étrangère plutôt que les décisions de cupides actionnaires. Ces habitués des prestations sociales, impétueux face à la baisse significative de leur montant, redoutant d’autres pauvres d’origines diverses tandis que les gouvernements successifs s’attachent à démanteler les vestiges du principe de solidarité. Celles et ceux exaspérés par l’accroissement de leur précarité, vouant leur méfiance à d’autres individus de mêmes conditions. Bref, celles et ceux qui ne se trompent pas de colère, mais de peur.
Dans une société mondialisée dans laquelle les marchandises et les capitaux circulent quasiment librement, où Internet permet de communiquer instantanément à des milliers de kilomètres, et où les liaisons aériennes couvrent presque la totalité du globe, les humains s’enferment encore et toujours dans des frontières factices au sein desquelles ils s’imaginent en sécurité. Mais à l’intérieur desquelles ils demeurent prisonniers. Laissant la finance mondiale se charger de gérer le sort d’une humanité incapable de se penser comme un ensemble, préférant s’organiser en communautés hostiles.
Une terreur instrumentalisée à des fins politiques, responsable et coupable d’engendrer deux types de victimes. Celles vivant recluses dans leur angoisse, redoutant la rencontre avec d’autres cultures, d’autres habitudes, d’autres traditions. Et celles souffrant de ce manque d’ouverture d’esprit, subissant insultes et mépris face à leurs différences.
L’enfer, c’est la peur des autres.
Guillaume Meurice
29/04/2012