L'année de mes seize ans

Publié le 20 mars 2008 par Mirabelle

Mon cher Victor,

Il arrive parfois dans la vie des choses étranges, qui vous font vous apercevoir que vous connaissez mal les gens et surtout, que vous vous connaissez mal vous-même. Et malgré l'agréable malaise que je ressens, je peux affirmer, avec certitude, que cette révélation m'est sans doute apparue au moment où il le faut.

C'était tout à l'heure. Je discutais MSNement avec un garçon que je connais depuis le collège. Tu en es proche ? Humm... Certaines circonstances nous ont rapprochés mais j'avoue qu'il fut une époque où il m'insupportait. Et puis nous nous sommes revus par hasard et j'ai appris à l'apprécier : la vie nous avait fait grandir tous les deux, et sous des airs de grand gamin, quelqu'un de sensible se cachait. Ah, la sensibilité... C'est la fleur de toute personne ! Bref. C'était donc tout à l'heure. Je ne sais plus comment c'est venu. On a commencé à se charrier comme d'habitude, en se parlant du bon vieux temps, en particulier d'un voyage en Angleterre en Seconde, où j'avais rencontré l'Amour. Aaaaah ! Raconte moi ça !!! Enfin. C'est une façon de parler, bien sûr. En fait, mes lèvres n'ont jamais frôlé celles de l'élu de mon coeur mais j'ai le souvenir d'avoir été réellement amoureuse. A m'en rendre malade. C'est à cette période qu'un soupirant du nom de David s'intéressa à moi. Soupirant pour lequel j'ai fini par succomber, pour une durée assez courte, il faut bien le dire, toute préoccupée que j'étais par le précédent. Tu devrais écrire des romans à l'eau de rose... Tu remporterais un franc succès ! Ca a l'air très compliqué, comme ça, très enfantin aussi, mais aussi loin que je m'en souvienne, la Seconde a été l'année où je me suis sentie la plus épanouie, la plus vivante... Et paradoxalement, la plus mal.

Bref. J'en viens au fait, ne t'inquiète pas. Ce fameux garçon avec qui je discutais sur Internet, que nous appelerons Matthieu, m'a avoué que je lui plaisais beaucoup à cette époque, sans jamais avoir osé le dire. Qu'il était ravi de m'avoir retrouvée des années plus tard. Et que j'ai marqué ses années lycée comme peu de filles les ont marquées. J'étais sonnée. Et puis... Heureuse aussi. C'est toujours agréable de savoir qu'on plaît... Ou qu'on a plu ! Et tout ça me laisse une drôle d'impression.

Parce que bien sûr, moi, je n'avais rien vu. J'étais complètement folle de mon nageur (tu sais, celui que je n'ai jamais embrassé...) et son indifférence me faisait pleurer tous les soirs dans mon petit lit d'adolescente. Et je n'avais rien vu. Je me trouvais si laide, à l'époque... Ca, ça n'a pas trop changé ! Tu ne vas pas me dire que tu te trouves jolie aujourd'hui ! Tu ne me trouves pas jolie ? Ce n'est pas ce que je voulais dire... Je voulais dire que, de par tes reflexions, de par tes écrits, j'affirme, sans trop me tromper, que tu ne t'acceptes pas encore... Oui, bon, peut être, sans doute. Ca c'est un autre chapitre ! Revenons à l'objet de cette conversation, si tu veux bien... A seize ans, donc, je me trouvais laide. Sans intérêt. Je regardais avec envie toutes ces filles qui multipliaient les conquêtes, et déplorais qu'on ne s'intéressât pas à moi. C'était très douloureux pour moi.

Et puis Matthieu m'a dit ça. Il m'a dit qu'il aimerait, un jour, trouver une fille aussi sympa, sérieuse et gentille que moi (je n'aime pas trop l'adjectif "gentil", mais bon...), avec qui cela pourrait durer. Et cela m'a fait un plaisir immense. Un bien immense. Parce qu'en ce moment, je ne suis pas habituée à entendre de telles paroles, qui me valorisent. Il faut dire que ces derniers temps, tu n'as pas été très épargnée sentimentalement parlant... Non. Cela m'a fait tout drôle. Alors, ce soir, je me sens un peu mélancolique. Il me semble que je me découvre. Que la vie peut être joueuse ! On passe des années à se trouver sans charme, à pleurer sur son sort, et on apprend quasiment dix ans plus tard qu'on plaisait à ceux qui se taisaient !

Bon. Tout ça pour dire que cette révélation de Matthieu m'aide à reprendre confiance. Je n'ai plus seize ans, c'est vrai, mais à vingt quatre ans, je ne suis pas encore partie bien loin, et si je regarde un peu plus loin que mes quatre années gâchées, il y aura sans doute quelqu'un, un mec bien, qui saura me voir avec le regard que certains ont eu sur moi. Des regards plein de respect et d'espoir. Surtout, des regards plein de projets. Un mec qui verra en moi une fille bien, qui mérite autre chose que des week-ends à attendre. Oui. Je l'espère. Et mieux : je crois que cela arrivera. Et même si cet aveu de béguin d'antan n'a pas d'incidence sur ma vie de tous les jours, elle me permet de me considérer autrement. Autrement que comme une fille qui ne vaut pas le coup. Autrement que comme une fille qui n'a pas le droit d'être aimée. En fait, j'y ai droit, comme tout le monde. J'ai le droit de vouloir autre chose qu'une relation qui s'effiloche, j'ai le droit de croire qu'un mec voudra un jour regarder des Truffaut avec moi sans faire la fine bouche, et s'armera de patience face à ce permis de conduire que je ne parviens pas à avoir. Oui. J'ai le droit. Et ça me remonte à bloc. Merci Matthieu.