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Une rencontre

Publié le 23 juin 2012 par Didier54 @Partages
Une rencontre
Elle dit qu'elle avait oublié que les rencontres pouvaient s'installer dans la durée.
Elle sourit et rappelle qu'elle avait fini par penser que les rencontres, c'était clac, comme ça, d'un coup, ou ça n'était pas.
Comme tout le monde, elle a précisé. Comme tout le monde j'ai fini par penser cela et par ne même plus sentir que je pensais cela.
Elle ajoute qu'elle se demande comment ça se fait qu'on se mette à penser des choses pareilles, à les penser de cette façon, et elle s'interroge, ne sait pas si c'est de l'impatience, ou de la peur, ou de l'inquiétude ou la mort qui coule peu à peu dans nos veines. Qui s'installe.
Je pense va savoir mais je la regarde. Je hoche la tête. 
Depuis que nous nous sommes rencontrés, c'est étonnant le nombre de fois où je hoche la tête.
 Je découvre que je sais hocher la tête. Je crois que je le fais bien. Elle doit penser que je fais cela tout le temps. Que je me tais. Que je n'ose pas parler. 
Un jour, je lui dirai que je l'écoute. 
Que ses boucles d'oreilles qui tintinabulent m'en disent beaucoup, elles aussi. 
Je souris. 
Les mots ne disent pas tout. 
Avec plein de gens, même, ils ne disent rien, les mots. Avec elle, c'est déjà mieux. Elle met du sens, elle essaie, je le sens. Elle part souvent là où ses yeux la déposent et puis elle revient. Des fois pourtant elle ne revient pas et c'est alors le moment de partir. Souvent, nous partons alors.
C'est étrange mais elle et moi avons le temps.
Elle dit qu'elle n'a plus l'habitude 
Elle allonge ses jambes sous la table pendant qu'elle continue de se raconter. On dirait qu'elle grandit.
Voilà que la lueur change dans ses yeux, aussi, et que ses doigts s'agitent en parlant.
Je trouve que ça lui va bien aussi. Je vois ses veines et je me dis que le sang qui partait est en train de revenir. Qu'il retrouve sa direction.
Elle dit se souvenir quelques jours plus tôt, quand elle est arrivée là. Moi aussi.
Tu sais, elle précise, tout le monde pense que je suis partie sur un coup de tête, mais ce n'est pas vrai, je ne suis pas partie sur un coup de tête, c'est idiot d'ailleurs cette expression. C'est la tête qui me donnais des coups, voilà la vérité. Je manquais de force, c'est tout. Je pensais souvent à partir, mais ce mot, on met tellement de pression dessus que finalement, on en fait une porte fermée. C'est con mais c'est comme ça.
Je me demande ce qui a fait la différence. Pourquoi avant elle partait pas et pourquoi un jour elle est partie. Je hoche la tête en attendant. Je me le demande aussi pour moi. Et je ne le sais pas. Je crois qu'elle non plus.
Elle boit quelques lampées de son jus de citron. Elle n'a pas mis de sucre dedans. Elle est rigolote. J'arrive à suivre le chemin de l'acide dans son corps et le sursaut qui annonce qu'elle va reprendre la parole.
Moi, j'ai déjà terminé mon coca rondelle. Je me demande si je vais en prendre un second.
Elle a sourit à la commande.
Elle a dit, le citron, voilà un point commun entre nous.
J'ai pensé quand elle a dit ça que moi, je le coupais, le citron, j'en faisais tranches alors qu'elle, elle le pressait, le citron, elle en faisait purée.
Elle voyait point commun, je voyais différence. J'avais l'impression qu'à nous deux, nous faisions le tour de la question. J'aimais cette force du deux mais nous en étions encore bien loin.
Elle précise que par contre, ici, elle y est arrivée par hasard. Je ne saurais pas t'expliquer comment j'ai fait pour arriver là, elle me dit. Elle se rappelle vaguement être venue dans les parages, petite, avec ses parents. Elle m'a dit il y a quelques jours qu'elle ne croyait pas au hasard.
Je lui dis que je ne pense pas qu'elle est arrivée ici par hasard.
Donc, nous nous sommes rencontrés doucement. Jour après jour. Dans ce café. Le seul du village. 
Il faut que je raconte.
Il était dans les 17 h, la première fois. Elle était en terrasse. Je l'avais reconnue. Je l'avais regardée, du coin de l'oeil.  Le lendemain, le surlendemain, j'étais en terrasse et elle était passée. Elle m'a dit après que comme moi, elle avait noté l'heure de la première fois et s'était arrangée les jours suivant.
Une fois pour acheter du pain. Le lendemain pour s'installer elle aussi en terrasse, près de moi, à distance. 
J'avais trouvé qu'elle avait une manière incroyable de regarder alentour. C'était mélangé. Elle redoutait et affrontait en même temps. Je n'étais pas surpris. Ce devait être comme ça tout le temps pour elle. Je la connaissais bien, finalement. Je n'osais pas l'aborder.
Cet autre jour, j'étais arrivé sur la plage et je me tenais quelques mètres derrière elle. J'avais sursauté en arrivant.  Elle était là ! Il y avait du vent. Elle frissonnait. J'ai fini par lui demander si elle voulait mon pull. 
Elle s'est retournée, les bras croisés collés au corps, comme une armure, elle a sourit, me reconnaissant, elle a dit quelque chose, je n'ai pas entendu, j'ai tendu l'oreille, elle a crié, elle disait oui.
Je me suis approché, je lui ai tendu le pull. Nous avions fendu l'armure.Nous étions restés comme ça, côte à côté. Elle à gauche. Moi à droite. Nous regardions la mer. Je me suis penché pour lui demander, vous voulez que je vous montre ma maison ?
Nous avons pris le chemin côtier. Cela faisait du bien de s'ébrouer un peu. Je marchais devant. Elle marchait derrière. Nous sommes arrivé près de la maison. J'ai fait mon cérémonial : le geste ample, montrant la maison et l'immense de toutes parts. Elle haussait les sourcils, les fronçait, elle avait le souffle court, je fume trop elle m'avait précisé en chemin.
Elle avait été surprise que je ne l'invite pas à entrer.Je lui avait dit que ce n'était pas chez moi. Elle m'avait demandé pourquoi alors je lui avais proposé de venir voir sa maison. Parce que c'est ma maison, je lui ai dit, index sur le front, c'est la maison de mes rêves, elle est à moi ici, j'avais dit, m'asseyant contre un muret, face à l'océan. Je n'ai pas besoin de plus.  Pour rien au monde je ne voudrais l'acheter, j'ai expliqué. 
Elle n'a pas de prix. Le propriétaire pourrait bien sûr me la donner, mais ça me semble difficile.
Plusieurs jours après, elle m'avait dit avoir adoré ce moment. C'était incroyable, elle disait, parce que c'était vrai, nous étions chez vous et nous y étions bien.
Elle était repartie avec mon pull. Elle me l'avait rendu le lendemain. Je l'ai lavé, elle avait précisé, au moment où j'espérais qu'elle ne l'ait pas fait tant j'aurais aimé emprunter son odeur.
Il ne fallait pas, j'ai dit. C'était vrai qu'il ne fallait pas. Trop tard, elle avait espiéglé.
Une des sources d'inspiration est assurément ici. Une autre est là.

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