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COVOITURAGE – Le grand sommeil

Publié le 26 juin 2012 par Routedenuit

 COVOITURAGE – Le grand sommeil

J’ai senti ses vertèbres une par une marquer mon échine. Je m’étais assis sur la moitié droite du tabouret de la cuisine. Il avait pris la gauche. Dans un soupir interminable, il avait pris mes mains et les avait tirées vers le sol, comme pour vérifier que j’étais bien ici, avec lui. Comme pour être sur que j’étais bien là. Il fallait de la stabilité, de l’équilibre, un ancrage. Un point qui ne nous ferait pas vasciller.

J’aurais voulu le prendre dans mes bras. Lui dire que ce n’était pas grave. Mais il était derrière moi, et je n’avais pas la force de me retourner. Je crois qu’il ne fallait même pas que j’essaie. J’étais là, je le soutenais. C’est en tout cas ce que j’ai compris quand il abandonna le poids de sa tête contre l’arrière de mon crâne. Il s’était relâché en un instant. Je sentais dans son dos que ses jambes s’étaient étendues, que les muscles de ses cuisses s’étaient décontractés, que ses mains s’étaient dessérrées.

Il n’y avait que le dos et nos vertèbres qui s’encastraient, comme les pièces d’un engrenage parfaitement huilé. J’étais à son écoute. Comme on l’est quand l’autre perd pied. J’étais à son contact. Comme quand le sol s’effrite, que le sol se fait meuble et que les certitudes s’enfuient aussi vite que le silence dans un courant d’air. J’étais là, parce qu’il le fallait.

Parce que j’en avais besoin. Aussi. J’étais là parce qu’il était là, comme deux forces dont l’intérêt ne réside que dans l’opposition. J’étais là parce que je voulais lui prouver qu’il tiendrait plus longtemps si je lui proposais mon épaule. J’étais là parce que j’avais besoin de sa force, de sa résistance. De sa manière de prendre mes doigts, de les serrer, et de se décontracter. J’avais besoin de lui pour comprendre que j’étais là. Ici, à ce moment précis. J’étais là. Lui aussi.

Cette courte nouvelle a été écrite dans le cadre des “Covoiturages” de Route de Nuit. Quand la session est lancée sur Twitter, chacun est libre de proposer un morceau à partir duquel j’écrirai une nouvelle dans la soirée. J’écoute toutes les propositions pour n’en retenir qu’une. Cela s’appelle le “Covoiturage” parce que c’est un vrai travail collaboratif, qui mélange à la fois les gens et les genres.

Cette fiction a été inspirée par une suggestion de @TheFilf.

Crédits photos : Alain Bachellier (FlickR/cc)

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