C'est en lisant chez l'ami Hubert un nouvel extrait des Travaux de Georges Navel - livre qui figure en bonne place dans notre valise de futur vacancier - et une anecdote sur son voisin que nous est venue l'idée de conter une expérience, vécue de chez vécue, juste avant notre départ de La Poste pour La Boite...
Les années Jospin s'achevaient dans un contexte si délétère qu'on n'en soupçonnait même pas l'issue. Quelques mois auparavant, le directeur du centre se décidait enfin à appliquer les 35 heures. Son plan prévoyait la suppression de plus d'une vingtaine de postes. Sur un effectif de 500 agents, la charrette d'emplois était négligeable par comparaison à d'autres entreprises, privées ou publiques, mais elle s'inscrivait dans une logique au long cours de non remplacement des agents partis à la retraite. La Poste expérimentait la RGPP... et éliminait ainsi en moyenne entre 3000 et 10.000 emplois par an.
Notre tour était donc arrivé. En fait, depuis la réforme Rocard - Quilès, l'organisation du travail changeait à intervalles irréguliers plusieurs fois par an. Cette pratique qui devenait une coutume de management se révélait à la longue usante pour le personnel. Elle occasionnait des réunions, des assemblées générales, des grèves de 24 heures ou reconductibles, où systématiquement - travailleurs et organisations syndicales - ressortaient épuisés et vaincus...
A chaque prise de poste, chacun se demandait à quelle sauce il serait mangé, quelle idée géniale les hauts fonctionnaires, fraichement convertis au vertus du néolibéralisme, allaient imaginer.
La réforme des 35 heures avait suscité de l'espoir. Beaucoup d'espoirs. Comme l'arrivée de la gauche après les grèves de 1995. C'est pourquoi la déception fut énorme ! En termes d'insatisfactions et de mouvements, ce fut quasiment la pire année de toutes. La direction s'ingéniait à inventer une mini réforme de l'organisation pour supprimer des postes dans chaque centre. Des grèves, pour la plupart longues, révélaient le mécontentement général, aussi bien à l'acheminement dans les centres de tri, qu'à la distribution chez les facteurs, sans oublier les guichetiers.
Notre direction ne voulait pas discuter, même dans le plus emblématique et le plus grand des centres. Lors des pauses, les militants rencontraient chaque collègue pour les informer et les mobiliser, si bien que le jour J, les deux tiers se mirent en grève reconductible. Aucun pli ni colis ne sortait.
L'épreuve de force commençait. Chacun veillait à ce que les piquets de grève soient bien pourvus 24 heures sur 24. Les assemblées générales se succédaient. Les uns appelant à la grève générale avec rassemblement devant l'assemblée nationale. La tension était palpable. Mais, c'était surtout des sentiments de solidarité, de fraternité et de liberté qui prédominaient. Au fil des jours, le nombre de grévistes grossissait. La direction qui cherchait le pourrissement du mouvement dut constater à son grand dam, que loin de faiblir, le mouvement se renforçait.
En coulisses, de grosses entreprises et des multinationales, des ministères et des institutions publiques n'étaient plus livrés. La grève devenait visible. Les coups de fil, les interrogations, les gueulantes, les menaces de rompre tel ou tel contrat devaient affluer de toutes parts à la direction du centre, voire même au Siège. Aussi, au bout d'une semaine, la direction céda sur toute la ligne avec suppression des suppressions de postes, plus quelques créations. Elle accepta également de payer les deux derniers jours de grève, rebaptisés jours de négociation, et d'échelonner sur plusieurs mois les retenues de salaire.
C'est donc le sourire aux lèvres que tout le monde reprit le travail, malgré les piles de sacs en instance et les casiers surchargés. Tout n'était pas résolu, mais chacun se réjouissait d'avoir fait mordre la poussière à l'encadrement supérieur.
Parmi les problèmes récurrents, le plus grave était celui des travailleurs précaires. La Poste ne recrutait plus par concours. Elle préférait embaucher des agents contractuels sous cdd ou cdii (intermittents) comme variables d'ajustement ou comme volant de remplacement. A chaque fois que l'un d'eux prenait son poste, nous devions lui apprendre les bases et les astuces du métier en sus de notre travail habituel. Une fonction de formation et de tutorat qui d'ailleurs n'était pas reconnue, même symboliquement, par la direction.
Nous formions donc ces "jeunes" mais peu revenaient en deuxième semaine, tant les conditions de travail, la dureté du métier, les horaires atypiques et la rémunération laissaient à désirer. Aussi, devions-nous recommencer, ce qui devenait lassant parce que là encore, nous subissions une autre forme d'exploitation qui permettait à la direction de gagner sur tous les tableaux.
Le roulement des personnels contractuels était si important que le centre recrutait sans être trop regardant. Ainsi, un matin, on apprit qu'un contractuel en poste depuis trois jours ne faisait pas "l'affaire". Par réflexe solidaire, nous vînmes demander des explications à la hiérarchie. Cette dernière nous informa qu'elle avait été alertée par l'extrême lenteur, voire l'incapacité du "jeune" à trier le courrier, puis à le distribuer. En fait, dans la précipitation, elle avait recruté un jeune analphabète... Misère !