Les éditions du Petit Pois, Collection Prime Abord,
Béziers, 2012.
Lecture d’Angèle Paoli
AU BOIS SACRÉ DE SON CORPS
Dans les pliures ivoire des cahiers volants (ni cousus ni collés) de Variations d’herbes se déploie un chant d’amour. Amour de la vie et de la nature, plaisir de l’éros, glissent à travers les poèmes-vagues de ce petit opus, séparés par des stries ondulées qui pourraient évoquer « les crinières de blé », le mouvement du vent dans le chignon défait de la belle, Bois sacré de son corps.
Dès l’ouverture de Variations d’herbes, la beauté rapide des chevaux engage la poésie de Nathalie Riera dans une course à vivre en harmonie avec une nature libre, dégagée d’entraves vaines. On pourrait croire à une traversée parfaite des chevaux dans le paysage, à la fusion idéale du cheval avec son amazone, si la femme n’était une amante de feu que le moindre geste, le moindre effleurement des doigts et des langues lance sans hésitation ni atermoiement dans la chaude effusion de l’amour :
lui dit : est lisse l’air de ta peau, hiéroglyphes tes lèvres où je m’attarde.
Et elle :
que nul n’oublie
je viens du feu
tiré du travail de mains jamais lasses
Et eux deux, dans la symbiose des corps aimants :
« (nos corps, je me relève, tu te redresses)
tout apaisement est fruit, le bon est notre demeure (viens !
donne-moi, tu aimes ça, portée par ce qui te plaît) »
Liés à cette triade, les « mots à venir » ― dont la lenteur à poindre exaspère parfois la poète friande ― lance celle qui n’a pas « d’histoire à raconter » sur les voies du poème. Étrange composition de textes brefs, Variations d’herbes joue sur l’alternance des caractères en italique et en romain, joue des parenthèses et des esperluettes, ensemble d’une écriture « botanique » portée par « l’amande la menthe » et toujours, dans un angle [in angulo], survient « la liesse des chevaux liés au monde ».
Les titres des poèmes, en caractères sans empattements ― avec ou sans sous-titres, numérotés ou non ― sont à eux seuls variations ou louvoiements énigmatiques de phonèmes, de couleurs – noire ou grisée [alta voce ou voci grige a cappella] ―, d’options typographiques, avec ou sans majuscule à l’initiale. À quel souci particulier de géométrie répondent ces disparités ? Rien de tangible qui permette de lever le mystère. Dès lors, se laisser porter par ces variations polyphoniques, annoncées dès la première de couverture par la vignette grise et verte encollée sur l’aplat violet de la couverture à double rabat. Se laisser porter par cette lenteur fluide des mots, là où la poète les voudrait « guêpes galops et vent », se couler avec elle dans l’espérance qui vit dans « une poignée de terre », traverser « le livre des eaux » dans la présence discrète et bienveillante du vert, « poésie parmi les lampes et les plantes ».
Toute la beauté du monde est au cœur des poèmes ― contrepoint des rythmes et des images ―, comme elle l’est aussi dans les choix esthétiques de ce très élégant petit recueil. La beauté tient au corps de celle qui aime à faire palpiter la beauté au cœur de sa vie et des mots. Puisque beauté il y a.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
NATHALIE RIERA
Image, G.AdC
■ Nathalie Riera
sur Terres de femmes ▼
→ in angulo (extrait de Variations d’herbes)
→ Carnet de campagne II (extrait de Puisque beauté il y a)
→ [dévêtue la main] (extrait de Feeling is first)
→ Là où fleurs où flèches (extrait de GPU 6 | ground power unit)
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) page aphone où tout est voix (poème inédit)
■ Voir aussi ▼
→ Les Carnets d’Eucharis (le site de Nathalie Riera)
→ (sur le site des Éditions du Petit Pois) une notice bio-bibliographique sur Nathalie Riera
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