Depuis quelques semaines, je rassemble des morceaux instrumentaux. Ils sont actuellement 265. Je les ai assemblés dans une compilation qui pour le moment s'appelle D'ici et d'ailleurs.
Je me rends compte que ce faisant, j'écris une histoire. Avec des mots invisibles. J'écris une histoire avec des musiques sans paroles, lisant les yeux fermés, et je mesure à quel point, les mots se taisant, c'est en réalité tout un océan d'expressions qui se libère.
Les musiques disent les mots enfermés et les mots tus, les libèrent, ils gambadent, peinards, dans les lumières étranges d'une pleine lune en plein jour.
Cette histoire raconte la vie, les temps de la vie, tous les temps, par tous les temps.
Ca soleil et ça pleut, ça crie et ça soupire, ça aime et ça tue, ça chagrin et ça joie, ça hurle et ça murmure.
Il y a de l'eau, de l'air, du vent, des cailloux dans les godasses, des pieds nus, des sacoches au vélos, des crécelles qui niquent les tympans et des suaves qui soupirent, des plaintes et des prières, des inconnus et des bataillons, des voix et des cavernes.
Dans cette histoire, trouvent place les heures creuses les heures sombres, les aspérités et les douceurs, on croque dans des fruits secs qui délivrent tout leur jus, on lèche des limaces et on avale des limonades, on soulève la mousse et on dégote des framboises gorgées. Il y a de la menthe et du gingembre, du cassoulet et de l'ananas, des tripes et du pain d'épice.
Dans cette histoire, on naît, on a des sanglots, on court, on marche, on rampe, on s'enfonce dans le sol, on s'écorche les genoux, on se souvient de demain et on avale hier, on dévale les pentes, on mange sur le dos des collines, on regarde le ciel, on y vole des étoiles, on y range des nuages, on jongle entre les noirs, les gris, les blancs et c'est le bleu qui gagne. On rend les étoiles, après, on mange de la terre, on crache des bulles d'oxygène, on parle aux racines des arbres, elles nous répondent, on rit sous les écorces et on devient arc en ciel solidement arrimés au fil invisible qui nous tendait les bras.
Dans cette histoire, on dort dans des troncs, on regarde des flammes qui crépitent, on plisse les yeux, on ramasse des salades dans un jardin, on tourne en rond, on fait des rondes, des rondes de nuit, on se moque, aussi, on fou-rire, on trébuche, on grimace, on rêve.
Dans cette histoire, on ouvre ses bras, on ferme sa porte, on guillotine les loquets, on se rigole d'une partie de foot avec les boulets dans nos cellules, on marque des buts, on lève les bras, on retourne en camisole, on mange du miel.
Dans cette histoire, on cascade, on délaisse les tunnels, on observe les lampadaires, on poubelle, on sculpte les détritus, on aime, on acide, on glucide, on livide, on guimauve, on s'embrasse, on se bouche, on s'arrache, on piétine, on tape du pied sur des cymbales, on braise des glycines, on roule dans les fougères, on fouette des orties, on débarrasse un plancher, on construit des murs, on dégomme les barricades, on exècre la bêtise et on lui chie dessus, on l'insulte, on la peine de mort.
Dans cette histoire, on se sert les bras mieux que les coudes. On a des pelures d'oignons sous les paupières et on coule des larmes de bronze, des larmes d'or, des larmes citoyens, puis on monte à cheval, on se chevauche, on patine, on double des murs du son, on avale des kilomètres, on a le coeur qui palpite, on a peur, aussi, on serre les poings, on pleure nos morts, on rêve debout, couché, dans la sciure, au pied des saules, dans la glaise, sur un rocher, dans une bassine. On fait fi de la poussière et des cendre.
Dans cette histoire, six continents au moins ne contiennent pas même les effluves de l'esquimau hilare au bout de son harpon. L'ourse polaire, la grande ourse, ne perd pas ses poils au contact de l'eau, elle est même remplumée par quelques carcasse livrées incognito. Au loin, blancs de blancs, sur cette banquise sans aggios, des sourires se plissent, se plaisent, se placent, se posent, se déposent, s'esquissent, s'embrassent, s'espacent, s'exposent.
Dans cette histoire, d'étranges vaisseaux viennent se déposer à nos pieds et nous intiment l'ordre de les suivre. On les suit dans les éclaboussures dorées des torrents joyeux, et ça siffle sur la colline, et ça danse avec les loups, et ça opine du chef, et ça vivre comme du cristal, éclats de cacaos, graines de cafés, thés dansants.
Dans cette histoire, on sent les doigts qui courent et les mains qui restent, les yeux qui partent et s'en reviennent, avec leur récolte de paysages, de fagots, de bedaines, de souvenirs, on avance, on recule, toujours en mouvement, on prend le manche par le bon bout et les sons font irruption sans jamais inquiéter le silence qui se tient là en bandoulière.
Dans cette histoire, on comprend même ses ennemis, leur index brandit n'est pas menace, même si ça rode, il est au pire un cri muet que l'on n'entend pas, on ne twitte pas, ici, on ne jalouse pas, on accueille, on ouvre les mains, on taraude, on arrose, on mange son pain son pain noir, on fourchette dans le bide pour se donner de l'air, on rigole la tête dans le frigidaire et lui trouvant une bonne tronche d'iceberg, on danse sur les décombres du titanic, pendant que des ballons roulent et filent un bon coton.
Tant pis pour la rumeur et les pleins phares.
Dans cette histoire, le temps se pluriel, l'hier et le demain se mêlent au maintenant, le temps est une oeuvre qui s'installe comme dans un fauteuil, qui se roule dans la mousse, bien au frais, bien au chaud. La nostalgie ne dégouline pas sur les tartines de confiture. La vaseline ne fait pas s'immiscer dans les corridors.
Dans cette histoire, on grimpe sur les toits, on danse avec les araignées, cocon de sort, on a mal à la tête, aussi, ça tourneboule, ça tournicote, ça tourniquer, on regarde l'horizon, et même l'horizon au loin de l'horizon, et alors on voit des femmes, des hommes, d'autres terres, d'autres continents, et on les aime, on les comprend, on est du même monde.