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Chroniques de l’ordinaire bordelais – Episode 26

Publié le 01 juillet 2012 par Antropologia

Chasseurs cueilleurs

Quand je franchis le portillon, armée d’un chariot, je sais que le défi à relever, ce n’est pas de traquer les bêtes sauvages, ni  de trouver les bonnes racines, ni d’identifier les champignons comestibles. Non, mon défi c’est de ne pas me laisser piéger par les fausses promos, les compositions codées, les ogm, les pesticides, l’huile de palme et autres pirateries toxiques qui nous guettent dans  tous les rayons. L’autre défi c’est de ne pas dépenser trop bêtement mon argent.

Je sais qu’il y a des rayons à éviter. La moindre faiblesse à ce moment-là et hop, je me fais avoir, j’ai le réflexe consumériste. Alors le chasseur cueilleur que je suis doit rester vigilant, ne pas se laisser leurrer. En tant que mammifère au sommet de la chaîne alimentaire, je ne suis pas femme à me laisser piéger par ma nourriture. Pourtant,  à mesure que j’avance dans les rayons,  la fatigue m’envahit. Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien ? Mon instinct me lâche et le dégoût m’envahit. Trop de choix. Trop de marques. Le même produit à l’infini avec quelques signaux, à peine différents. J’en perds mon odorat.  Immense soupir, un soupir comme un bâillement ou n’importe quel autre réflexe fossile. Je voudrais hiberner. Une femme, témoin de mon soupir, rit avec bienveillance. On se sourit et elle me dit à voix basse : « Oh oui, je sais, c’est pénible ». Ensuite, on se croise à nouveau plusieurs fois, on se reconnait, on va jusqu’à se conseiller sur deux produits qu’on a testés. « Méfiez-vous, me dit-elle, dans cette crème il y a du paraben ! ». J’avertis : « Non, pas la perche du Nil ! Elle vient du lac Victoria. C’est de l’élevage intensif. Ça a détruit l’écosystème et une partie de la population nigériane… ! »

Bizarrement, on s’est retrouvées à la caisse, elle devant moi (s’est-on inconsciemment suivies ?). Quand la caissière lui annonce le prix, elle me regarde, complice, les sourcils légèrement crispés, la bouche un peu pincée, en forme d’épilogue. On a beau savoir éviter quelques pièges de la grande distribution, on se fait toujours griffer à la sortie.

Sandra Labastie



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