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le foudroyé

Publié le 02 juillet 2012 par Sophielucide

le foudroyé

Georges Gustave, dit Gégé, n’oubliera jamais la naissance de son fils cadet par une nuit d’été orageuse de l’an de grâce 1954. Le ciel était violet, strié d’éclairs orangés et silencieux. On fêtait la Saint Thèse.  Son statut de médecin l’avait autorisé, alors qu’il n’était pas encore à la mode pour les pères de soutenir leur épouse lors de l’accouchement, à assister son confrère obstétricien avec qui il jouait au poker le vendredi. C’est ce jour que son fils avait choisi pour présenter à la face du monde son postérieur bleui (où le rose a des reflets bleus),  tableau qui le dégoûte encore aujourd’hui tant il lui rappelle la honte de sa vie. En effet, le papa s’était évanoui et son collègue ne manquait aucune occasion pour le  rappeler, au grand dam du confrère, orl distingué et heureux jusque là.

Le petit François s’était donc présenté par le siège, ce qui n’est déjà pas banal, au moment même où un formidable éclair avait plongé à l’instant T la petite clinique rouennaise dans le noir le plus total. Lorsque la lumière était revenue, la minute d’après, tout le monde s’était tu et constatait avec horreur pour les uns, hilarité pour les autres, le bébé bien en chair, replié sur lui-même, les bras tendus, les poings serrés et les deux petits majeurs pointés vers le ciel qui crachait maintenant une pluie grasse exhalant une forte odeur de foin à peine engrangé.

Hormis l’anecdote épique de sa naissance, l’enfance de François se déroula paisible, sans fait majeur à raconter tant le petit, et de l’avis de tous, se montra facile à vivre, se réjouissant de tout, s’exclamant pour un rien. Le petit garçon devenait facétieux, développait une langue qu’il chérissait et dont il s’amusait, le soir à la faveur d’une lampe de poche reçue pour son dixième anniversaire, à décliner les subtilités en compulsant son autre cadeau, un dictionnaire Robert.

C’est ainsi certainement, qu’il se découvrit une disposition à manier un humour n’appartenant qu’à lui. Il testait sur sa mère bienveillante ses petits mots d’esprit, toujours récompensé par son sourire complice qu’il voyait comme un encouragement. Lorsqu’il  avoua, mais cette fois sans aucune trace d’ironie qu’il se vouait à devenir pape, sa mère fut prise d’un tel fou rire que pour la première fois un horrible sentiment d’incompréhension assaillit le garçon. Il remit à la baisse cette folle ambition et déclara le mois suivant avoir décidé de devenir un jour président de la République, ce qui redoubla le rire de sa mère tandis que son père ne put que hausser les épaules de dépit.

Car pour cet homme affable, le monde ne tournait plus rond depuis cette année fatidique vécue comme humiliation suprême : son pays dont il était si fier perdait de sa grandeur, n’était plus un Empire, bradait ses colonies ; Diên Biên Phù représentant à ses yeux le sommet de l’inacceptable, une honte irréparable signant à jamais la perte des Valeurs contenues et désormais perdues. De l’Algérie, il était interdit de mention et tandis que le père s’enfermait peu à peu dans une aigreur qui le plongeait dans le silence comme une tumeur ronge les organes de l’intérieur, la mère, elle, s’enthousiasmait pour une nouvelle figure, celle d’un autre François, qui deviendrait, lui, président de la République par une belle journée de mai.

En attendant ce nouvel horizon qui métamorphoserait durablement l’idéal d’un fils ignoré par son propre père, le jeune François avait dû vaincre un obstacle de taille : son déménagement à l’âge de 14 ans pour une cité nantie qui caressait Paris. Sa révolte, il la conserva pour lui, déjà dépassé par une ambition à laquelle personne ne prêta la moindre forme d’attention. C’est à ce douloureux passage de l’adolescence qu’il décida en conscience de ne donner de lui que ce qu’on était prêt à recevoir, c’est-à-dire pas grand-chose en dehors de son physique ingrat et son humour de potache. Au moins, n’éveillait-il chez ses coreligionnaires ni jalousie ni méfiance, à peine une condescendance chez les petits bourgeois dont il détestait en secret les codes ignorés. Il resterait fidèle à sa province, engoncé dans ses costumes gris, prêtant le flanc, avec un masochisme éclairé de son sourire charmeur, aux quolibets. Nul ne me connaît, personne ne se doute du destin qui m’attend, rira bien qui rira le dernier, se disait-il le soir, à l’heure du coucher, comme d’autres égrainent un chapelet de nacre.

C’est qu’il avait développé, dans la solitude propre à l’adolescence, une hypothèse qu’il s’acharna à décliner jusqu’à ce qu’elle colle à son corps telle une seconde peau. Il avait un Destin. On L’avait choisi et il ne s’appartenait plus vraiment. Ce secret ne serait divulgué qu’à la veille de son sacre, à la femme de sa vie, ébahie de reconnaissance qu’elle ait à son tour été choisie. C’était une évidence qu’il lui était évidemment interdit d’évoquer. Lui, qu’on nommait au lycée, le « concentré rationaliste » ne pouvait verser dans ce genre de fable basée sur la métempsycose. Pas lui ! Pas ça ! Et pourtant, cette croyance le submergeait. Elle lui était apparue un soir lors de la lecture d’une nouvelle de son écrivain favori, Guy de Maupassant qui a décrit sa Normandie comme personne. Au début, l’idée l’avait simplement fait sourire, mais petit à petit elle s’était imposée avec une force telle qu’il s’y était plié, docilement. Cette extravagance n’était pas pour lui déplaire car il la savait indétectable. Inéluctable aussi… Travailleur acharné, il tirait un réel plaisir des études qu’il poursuivait sans le moindre heurt, sachant qu’il conservait secrètes ses pensées inavouables. Le ressort que d’aucuns, désormais, s’échinent à rechercher, c’est lui et lui seul qui l’a façonné et c’est sa plus belle fierté, son secret le mieux gardé, son Fort Knox inavoué, qu’il a consciencieusement armé jusqu’à la bataille finale.

Les études, aussi longues que brillantes l’avaient heureusement préparé à la patience, l’humilité et l’ingratitude. Ne lui manquait à 25 ans qu’une forme de légitimité qu’il trouva chez sa camarade de la promotion Voltaire à l’ENA, une jolie fille qui masquait une ambition démesurée derrière une timidité presque maladive. Il la surnomma Miss Glaçon, ce qui la fit vraisemblablement fondre, une fois qu’ils s’entendirent à tuer leurs pères respectifs, dont ils avaient eu tant à souffrir mais qu’ils avaient, chacun de leur côté, fini par surmonter la criminelle aura. C’est grâce à elle qu’il entra, à ses côtés dans les arcanes feutrés d’un pouvoir éthéré. Il ne croisa que rarement le Président, dont il ne partageait que l’auguste prénom mais cela lui suffisait. Une porte s’était entrouverte, et ce qu’elle donnait à voir, dans une pénombre où tout le monde chuchotait, c’est ce qui l’attendrait un jour.

La quête du Graal réserve cependant bien des vilenies, embûches et traversée du désert qu’il surmontait en reprenant du dessert. Sa gourmandise, en effet demeurait un péché qui ne le rendait pas mignon. Il s’épaississait en attendant le moment propice dont il commençait à douter qu’il arrive un jour. A la naissance de son quatrième enfant, sa compagne, dont il refusait la main chaque année à la date anniversaire de leur rencontre, exerçait la lourde tâche de ministre alors qu’il n’endossait que le statut minable de compagnon flasque. Cette dernière avait convoqué une équipe de Paris Mach 2, afin d’immortaliser au mieux la vie normale d’une famille ordinaire. Sa colère ne s’apaisa qu’à l’instant magique où son regard croisa les yeux de chat de la journaliste dont il ne parvenait pas à imprimer le nom. Il évoquait parfois son prénom qu’il prononçait avant de s’endormir : Valérie. Comme elle était jolie !

Tandis qu’il s’effaçait, au point de devenir de plus en plus flou, sa compagne fendait l’armure, se montrant si cinglante qu’il supportait mal qu’elle lui rappelle à ce point son propre père, égaré dans ses pensées réactionnaires. Le couple battait de l’aile, il s’en rendait bien compte mais il supporta vaillamment l’épisode attendu en se rapprochant de la belle journaliste dont il admirait l’élégance et le port de tête. Une vraie reine ! Mieux : une future première dame que le monde envierait un jour. Il n’en était pas encore là, malheureusement et devrait encore vaincre bien des humiliations, au sommet desquelles se plaçait désormais sa rivale, la mère de ses enfants ! Rien, décidément ne lui serait épargné.

Mais selon l’expression que son ennemie la plus intime volait régulièrement, sa conviction rentrée demeurait ; Il la sentait, elle était là, chevillée au corps. Elle explosa littéralement lorsque, posté devant sa télévision le soir du 31 décembre 1994, le Président s’était personnellement adressé à lui par une phrase sibylline qui, depuis, demeure ancrée en lui : « Je crois aux forces de l’esprit, je ne vous quitterai pas » avait soufflé François à François. Tout s’était éclairé subitement : bon sang mais c’est bien sûr ! Lui, qui, bêtement avait perdu du temps à chercher parmi les illustres l’esprit qui l’habitait, il l’avait là, sous ses yeux, en la personne du Président. Pourquoi le même esprit ne pourrait-il siéger dans plusieurs corps, pourvu qu’ils le méritent ? Il suffirait donc d’attendre que le Président, par sa mort, lui passe le flambeau, cette flamme subtile qu’il sentait vivre en lui en parcourant son pays. Comme l’Autre, il incarnerait un jour cette France immémoriale en lui insufflant la touche indispensable d’une modernité qu’il nommait Egalité ou bien Justice.

Tout personnage hors norme trimballe au plus profond de son âme gloutonne un lot de turpitudes et la souffrance n’a pas épargné notre bon François qui eut encore à endosser une forte dose d’humiliation lorsqu’il s’avéra, aux yeux de quelques chiens, comme le principal défaut de sa candidate de compagne aux élections de 2007. Eut-il d’autre choix, qu’une fois encore, ronger son frein ? Sa seule consolation tenait dans la victoire annoncée et attendue de l’escogriffe Sarko ; il lui restait assez de lucidité pour en convenir. Alors, il s’effaça.

A la veille des Primaires socialistes de l’élection historique de mai 2012, on l’appelait monsieur 3%. Seul, il s’était éloigné de la sphère politique parisienne en arpentant chacune des 36 000 communes de France et de Navarre. Chaque soir, il visionnait des cassettes des principaux discours de son modèle, s’appropriait ses gestes, s’imprégnait de la langue, notait les mots clés qu’il répétait devant le miroir. Il ne lima pas ses dents mais entreprit de perdre les 10 kilos superflus qui l’avaient jusqu’ici fait passer inaperçu. Des langues fourchues assurent qu’il est allé jusqu’à teindre ses cheveux de jais alors qu’il ne fait que les cirer…

Son heure était venue et son ascension, saluée régulièrement par des sondages favorables, le forcèrent à surjouer l’humilité.   Rien n’était encore gagné même si le plus dur était fait : rassembler autour de lui le troupeau d’éléphants assoiffés de pouvoir. Il laissait faire en scandant les slogans qu’il avait lui-même trouvés. Tout devait respirer la simplicité, voire même le ridicule lorsqu’un de ses sbires eut l’idée saugrenue d’accompagner le geste à la parole. Lui, restait calme et digne. Un type « normal » qu’il disait. Après toutes ces années d’abnégation, il était impérieux de ne céder à aucune sirène, surtout pas celles émises par ceux qui se disaient soudainement proches en ne tarissant pas d’éloge sur son intelligence supérieure, sa mémoire phénoménale, sa capacité de travail, et bien sûr sa « gentillesse ». Il en riait sous cape, sentant chaque jour la victoire s’approcher.

Lorsque le grand jour arriva enfin, il trépignait depuis l’aube en pensant à celui qui pensait ne faire qu’une bouchée de son rival. Tout le monde assista, médusé, à l’attaque en règle et sans faille de celui qui n’avait éveillé aucun soupçon. Face à lui, dépité, le président en place n’avait que quelques jours à compter. Il ne se remit jamais tout à fait de sa contre performance, ne jugeant pas nécessaire de se préparer à un combat qui n’en était pas un. Le débat se révéla cruel, il en sortit contrit. Il avait perdu  face au plus falot des adversaires, c’est ce qu’il eut le plus de mal à digérer. François, de son côté se lança dans une tirade restée dans les annales car les téléspectateurs y apprirent un nouveau mot jusqu’ici réservé aux littérateurs, l’anaphore que les media reprirent en boucle jusqu’au dimanche historique du 6 mai 2012.

Une fois élu, il plagia une dernière fois son homonyme en s’exclamant «quelle histoire !»

L’histoire pourrait s’arrêter là et la romancière s’effacerait à son tour derrière les politologues hagiographes et non moins officiels du nouveau président. Las ! Si la vie de François Ash ressemble à s’y méprendre à une fable de La Fontaine, elle conserve cependant son énigme, digne des Mystères de Paris. Les plus jeunes d’entre vous ne se souviennent peut-être pas que l’Autre François avait été surnommé Dieu par les media licencieux. Dans toute mythologie qui se respecte, l’épisode de la vengeance est attendu avec délectation par les lecteurs avides et l’histoire de François Ash n’échappe pas à la règle.

Au soir du 15 mai, après la journée fort chargée de son avènement, affublé de la croix de chevalier de la légion d’honneur, le président fraîchement intronisé s’envola pour Berlin.

Au moment où la foudre s’abattit sur l’appareil, à l’instant même où le noir se fit, François ressentit un curieux mais étrange sentiment qui le vida de l’intérieur. Il était seul, pour la première fois de sa vie. Abominablement seul. L’Esprit l’avait quitté. A peine entendit-il murmurer dans le vacarme assourdissant de tôle froissée une voix bien connue, qui venait de très loin. «Le repos, c’est maintenant». La voix de Mitterrand ! François insista pour que l’avion ne fasse pas demi-tour, qu’il poursuivre coûte que coûte son trajet mais ses pouvoirs l’abandonnaient au moment même où la tentation d’y goûter affleurait.

Seul !

Seul et pour cinq ans. Seul à trouver sa propre voix, sa propre voie…. lui qui voulait ré enchanter le pays, se mit à déchanter. Nous attendrons, quant à nous, le même temps pour écrire une morale, si tant est qu’il faille en écrire une.

d’autres textes et poèmes à découvrir dans le dernier recueil LAT: http://www.livresatelecharger.com/ebooks-gratuits/incarnation-2/


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