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Juste avant l'hiver

Publié le 27 juin 2012 par Benoitd67

Françoise Henry (France)


Juste avant l'hiverMa lecture:
Toutes les caractéristiques du vaudeville sont en place dans ce court roman :
  • Un huis-clos : l’action se déroule quasi essentiellement dans un café situé à Prague
  • Une héroïne : jeune et jolie serveuse dans ce café, un peu naïve. Anna est Slovaque à Prague. Nous sommes en 1968 au temps où la Tchécoslovaquie ne faisait qu’un.
  • Trois prétendants : Pavel, le bel étudiant blond ; Heinrich, le pianiste, libre de voyager  même à l’Ouest ; Thomas, chef des serveuses, amoureux transi, plutôt laid.
Cela pourrait ressembler à un vaudeville mais « Juste avant l’hiver » n’en est pas un.
Il y a l’endroit, le moment : Prague, ville grise, froide (en tous cas c’est de cette façon que Françoise Henry ou plutôt la narratrice la décrit), le communisme, l’entrée des chars soviétiques, les restrictions, les persécutions…
Juste avant l'hiver
Il y a l’absence de liberté : liberté d’aimer, liberté de voyager, liberté d’écrire. Certes, les serveuses sont libres d’aimer qui elles veulent en dehors de leur travail mais elles seront quand même surveillées, traquées. Pas de voyages possibles sans papiers en ordre, sans autorisation ; à l’exception du pianiste, pour l’image de marque du pays à l’étranger. Liberté d’écrire avec le petit mot confié à Thomas à Anna qu’il gardera secrètement caché sur lui et que personne d’autre ne lira même pas Pavel…
Il y a aussi ce faux huis-clos qui est mis en place au travers de la narratrice ; tout est écrit comme un long monologue. La patronne du café est acariâtre, jalouse d’Anna, antipathique au possible mais c’est elle qui nous raconte ce drame. Le ton est méchant, destructeur, plein de rancœur au début du roman mais change peu à peu pour se teinter d’une extrême jalousie; on sent la femme meurtrie, blessée par un échec, une frustration ou une désillusion amoureuse qui se voit en Anna comme dans un miroir.
La narration, elle-même, sortant de la bouche de le patronne d’Anna est une des grandes forces de ce roman. L’utilisation du « vous » pour désigner Anna est très intelligente : il y a une certaine distance entre les deux protagonistes, un lien hiérarchique évident mais ce « vous » nous force à réagir, à se mettre dans la peau d’Anna. Le « vous » c’est « nous » en fait.
Ce petit roman (à peine 150 pages) est un véritable exploit. Comment nous faire aimer ce récit dramatique à travers une narratrice aussi antipathique, une seule et unique voix, une seule version de l’histoire sans engendrer de sentiment de lassitude, voire de dégout. Ce pari audacieux est tenu et c’est une très belle réussite. Je relirais bien quelques Milan Kundera pour garder cette belle ville de Prague en mémoire...
Le début:
"Je vous ai toujours observée, Anna. Comme j’ai toujours observé mes serveuses. D’abord parce qu’elles sont jeunes et jolies (plus ou moins). Tout ce que je ne suis plus (ou n’ai jamais été). Évidemment, nous sommes obligés de les garder comme telles. C’est pour ça qu’elles ne durent pas. Nous n'avons pas le droit de les licencier, mais nous les envoyons ailleurs..."
Quatrième de couverture:
Prague, 1969. Dans un café, la patronne, acariâtre et jalouse, épie sa jeune serveuse. Elle assiste en voyeuse à l'éclosion et au massacre d'un amour, qui lui rappelle une blessure de jeunesse. A travers une poignée de personnages, immergés dans un angoissant huis clos, c'est tout le cauchemar d'un régime politique qui nous est restitué.
Lu dans le cadre du "Défi Cent Pages"
Juste avant l'hiver
Editions Le Livre de Poche (2011) - 140 pages
Juste avant l'hiver
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