Tout le monde te regarde comme si rien n'avait changé. Comme s'il nous fallait nous aussi feindre pour ne rien aggraver.
Comme on fuit pour ne pas affronter ses peurs. Quelle mine de crayon fut assez taillée fine pour te dessiner de ce trait brutal et acéré ? Où sont passées tes joues et tes douces rondeurs ? A qui appartient ce corps qui n'en finit pas de s'allonger pour mieux s'évanouir...
Quel est ce mur de silence dont s'entoure ta souffrance ?... Qui le construit jour après jour, toi, nous ?
N'as-tu donc rien trouvé de plus efficace pour te protéger que d'anesthésier toutes les envies, tous les possibles qui pourraient ne pas aboutir, et deviendraient, par conséquent, susceptibles, peut-être, te faire souffrir ?... Quelle douleur fut assez terrifiante pour qu'aujourd'hui encore tu ne puisses t'en affranchir ?... Quel vampire ne doit sa survie qu'au prix de ces macabres inappétences ?
Quel épouvantable angoisse nécessite cet impérieux chantage, de quel terrorisme sentimental as-tu choisi d'accabler ceux qui t'aiment pourtant pour te rassurer davantage ?...
Tu n'es plus qu'un regard. Deux émeraudes mangent ton visage. Tes grands yeux ne brillent plus que de cette fièvre qui te laisse sans autre désir que celui de ne te concéder aucun plaisir...
Tu n'es plus qu'une apesanteur. Il me semble que pour toi le moindre geste est devenu las et douloureux... Je ne peux me résigner à te voir ainsi rétrécir...
Et je vois ton père pétrifié d'inquiétude, n'oser te toucher quand te prendre dans ses bras est devenu un constat d'impuissance... Comment donner une réponse à à ces questions que tu ne poses pas, comment te parler avec suffisamment de distance, comment mettre de côté de légitimes émotions sans se heurter aussitôt à ce refus de nous entendre ?...
Et moi qui te connais si peu, si mal... Qui d' instinct ne voit en toi qu'une gamine à soulager urgemment de je ne sais quoi... Une envie de tout bousculer, les conventions, le temps, pour mieux t'approcher, pour écouter tes silences et chercher, chercher jusqu'à trouver comment te sauver !...
Hélas, me voici à mon tour immobile, à t'écrire tous ces mots inutiles que d'ailleurs jamais tu ne liras, d'autres plus proches et mieux placés que moi, en ont sans nul doute déjà épuisé des dictionnaires entiers pour te dire qu'ils t'aiment et qu'ils veulent juste t'aider... Mais tu ne demandes rien, et moi comme les autres, je ne peux être que maladroite tant j'ai peur de ne rien pouvoir pour te donner l'envie de te réinventer...