La timidité, ce mal du siècle. Comme une conséquence logique et tragique d’un monde voué au culte du soi, de l’individualisme. Où la prime revient aux biens-nés, aux méritants, aux intelligents. Où les paradoxes s’enchainent sans que personne ne trouve rien à redire. Où l’on plaide pour l’égalité, la solidarité dans la journée, pour se pavaner le soir venu sur son intelligence. Où l’entre-soi semble être devenu la règle tacite des relations sociales.
J’avais croisé cette fille qui s’insurgeait contre l’utilisation à outrance du mot « cool ». Je m’étais plu à l’écouter battre en brèche ce monde factice où tous les jugements disparaissent pour laisser place à une sorte de relativisme extrémiste. Où le fait de juger des attitudes suffisait pour être cloué au pilori. La fin de la pensée libre, démontrait-elle. Je m’étais laissé bercer par cette façon de voir le monde et les choses. Dans cette société faussement rebelle, elle m’apparaissait comme une véritable révolutionnaire. Et puis une fois passée cette passionnante discussion, elle était repartie se pavaner comme tout le monde, reléguant tous ses beaux discours aux oubliettes.
J’étais timide, je me retrouvais complètement dans son discours parce que pour moi l’essentiel était ailleurs. J’avais bien essayé de me sortir de cette spirale infernale qui vous entraîne chaque jour davantage vers la solitude. Un sentiment d’incompréhension de la part du monde qui m’a incité peu à peu à me replier sur moi.
Après de longues années de torpeur, j’ai fini par trouver un exutoire. Un nouveau souffle. J’étais toujours timide. Maladivement. Mais mon envie de battre en brèche cette société factice était plus forte. Je me sentais seul, mais fort comme jamais.