Hélas ! Deux jours avant, l'un de ses oncles mourrait et il partait à l'enterrement et, en deuil ne pouvait pas venir danser à la maison. Il s'en excusa et, dans le mot qui nous en avertissait il y avait deux invitations pour le grand bal annuel des officiers de réserve. J'avais donc l'espoir de le revoir.
A l'entrée du bal, ma mère qui me chaperonnait toujours !, s'apprêtait à payer les 20 francs, habituels ; mais ô surprise ! nos places étaient payées. Quel jeune homme épatant !
Je fus aussitôt invitée à danser ; mais vers 11h30 je vis arriver Maurice avec son brassard de deuil. "Mlle, je viens juste vérifier les comptes et je ne danserai pas puisque mon oncle est mort". Réponse immédiate : "Je resterai avec vous sans danser tout le temps que vous resterez au bal". Et c'est ainsi qu'à 4h du matin, à l'extinction des feux" nous étions toujours ensemble ! ayant beaucoup bavardé et participé à une loterie où Maurice avait gagné beaucoup de lots qu'il avait mis dans mes bras.
Ma mère, à qui il avait tout de suite plu, l'invita à venir prendre le thé à la maison le dimanche suivant pour ouvrir la bouteille de bénédictine l'un des lots. Qu'avait-elle fait là ! Mon père se fâcha parce que l'on avait invité "un inconnu" à la maison et ne desserra pas les dents lors de sa visite. Ma mère et ma soeur ne parlèrent guère et moi, béate d'admiration, j'écoutais silencieuse toute sa campagne de Pologne qu'il nous racontait avec brio. Mais en sortant de chez moi, Maurice jura à ses amis de ne plus remettre les pieds dans cette maison !! Je le sus plus tard…
Et c'est ainsi qu'en janvier, à la réunion mensuelle des officiers de réserve que j'attendais avec tant d'impatience, je le vis arriver avec une jeune personne en rose… et il ne me chercha pas. Mon sang ne fit qu'un tour. Je dis à ma soeur : "Je m'en vais ! Je ne peux pas rester ainsi ! "Arrivée au vestiaire, je m'arrêtai devant une glace : "Toi Madeleine, la volontaire, tu fuis ; ce n'est pas ainsi qu'on gagne. Reste. etc. etc." Et je repartis vers le bal. La porte s'ouvre. C'était Maurice, qui ayant appris que, souffrante (tu parles !) j'étais repartie, seule, à la maison, venait voir s'il pouvait me raccompagner, puisque ma soeur ne l'avait pas fait. "Voulez-vous que nous prenions un taxi ? - Oh ! Non ! J'ai besoin d'air, allons à pied". Un taxi aurait été trop rapide ! Et doucement, nous sommes revenus de la Place de l' Alma à Auteuil par l' Île des Cygnes. Là, quand n'en pouvant plus, je lui demandai "ce qu'il pensait de moi" ; il me confia qu'il n'osait pas envisager quoi que ce soit avant de m'avoir révélé que son père était divorcé ! Dans ce temps-là, et surtout dans les familles religieuses, c'était une tare… Je lui dis que dans toutes les familles il y avait des tares et que la sienne ne me choquait pas… ( Ma grand mère me raconta verbalement, qu'elle lui avait répondu du tac au tac qu'étant née un an avant le mariage de ses parents, elle aussi avait sa "tare") J'écrirai à vos parents cette semaine, leur demandant d'aller les voir ! Et bien sagement, nous continuâmes notre chemin. Comme je l'ai attendue cette lettre ! Ce n'est que le vendredi que Maurice Billet demanda à mes parents de le recevoir le dimanche.
Le sort en était jeté ; puisque c'est ce jour-là, 15 janvier, qu'il leur demanda "ma main" suivant la formule de ce temps là…
Quand j'y pense maintenant, je me rends compte que nous ne nous connaissions pas du tout… Nous nous étions vu dans trois réunions dansantes et il était venu une fois à la maison. Cela avait été "le coup de foudre". Nous étions de milieux sociaux très différents, nous avions eu des jeunesses tout à fait opposées, moi, l'étudiante gâtée par la vie et par mes parents fiers de moi et lui, sans mère, pensionnaire à 9 ans, obligé de durcir ce coeur qu'il avait très aimant et très frustré, et à 19 ans, quatre années de cette guerre si cruelle où il ne survécut que par la grâce de ce Dieu qu'il vénérait profondément.
Nos fiançailles furent rendues officielles le 15 février et mon père, pour des raisons financières les laissa durer 8 mois, puisque c'est le 20 octobre que nous "convolâmes en justes noces". Pendant les trois mois d'été mon fiancé partait de Thourotte le samedi soir (dans ce temps-là, on travaillait le samedi !) et passait la nuit dans les trains pour arriver le dimanche matin à Onival. Que de bons week-end nous avons passés ainsi à la mer, qu'il apprenait à connaître, car étant jurassien, c'était la montagne qu'il préférait !… J'attendais sagement, à la villa, ces week-end, en cousant mon trousseau !!
C'est donc le 20 octobre 1925 que nous "nous jurâmes fidélité" pour toute la vie en l'église d'Auteuil.