Amiet

Publié le 08 juillet 2012 par Jlk

Qui aime la couleur ne peut qu'être touché par la peinture de Cuno Amiet. Ce fut en effet un irradiant coloriste que ce maître incontesté de l'art suisse de  la première moitié du XXe siècle, même si sa notoriété posthume n'égale certes pas celle de Ferdinand Hodler, dont il fut le continuateur direct.

C'est peut-être que l'œuvre d'Amiet est plus composite, moins puissante et moins radicale en ses aboutissants que celle de Hodler, mais la couleur le sauve de cet apparent éparpillement, autant que son art de l'aquarelle et du dessin, non moins marqué par la grâce.

Il y a chez lui du fauve français autant que  del'expressionniste allemand, ses couleurs évoquent successivement  Gauguin et  Van Gogh, Kirchner et Nolde, avec des bonheurs à la Bonnard.

Caméléon ? Je dirai plutôt : poreux à l'extrême, et tout de même partagé entre service public et vertu privée. Il y a en effet presque deux œuvres chez celui qui fut à la fois l'Artiste suisse officiel de l'entre-deux-guerres, solidement implanté dans son arche mythique d'Oschwander où se retrouvaient artistes et écrivains, et le créateur plus intimiste et plus libre dont son jeune ami et émule Eduard Gerber grappillera le meilleur pour en constituer une inappréciable collection, témoignant aussi de la bonification de l'œuvre en ses dernières années.

Sans le génie ardent d'un Hodler, Cuno Amiet n'a jamais pour autant donné dans l'art officiel lénifiant, même si le symbolisme appuyé de ses fameuses Cueilleuse de pommes - gracieux sgraffito de la façade du Musée des Beaux-Arts de Berne rappelant le programme de défense spirituelle du pays, en 1936 - fleure évidemment son époque bien datée. On a aussi reproché au notable Amiet de s'être opposé à l'acquisition par le même musée bernois, en 1946, d'une toile de Picasso. « S'il y avait du jaune là où c'est blanc on pourrait l'acheter », aurait déclaré en dialecte bernois celui-là même qui participa aux mouvements novateurs du Blaue Reiter allemand  ou de la Sécession autrichienne. On n'en fera pas un renégat réactionnaire pour autant puisque ce n'était, en somme, qu'une question de couleurs !

À la bascule des générations, mais surtout d'une époque que marquera la fin d'une certaine peinture (Hodler ira jusqu'à la fusion de l'abstraction lyrique, mais après ?), Cuno Amiet fut aussi le dernier peintre « national » d'une certaine Suisse qui l'a d'abord vilipendé avant de le célébrer, puis de l'oublier...

Nota Bene : né en 1868 à Soleure, Cuno Amiet fit très jeune ses premières études artistiques à Munich, où il se lia avec Giovanni Giacometti, dont il devint plus tard le parrain du fils, Alberto. Après un séjour à l'Académie Julian de Paris, il séjourna à Pont-Aven et s'établit, dès après son mariage avec Anna Studer, en 1898, dans le village d'Oschwander, canton de Berne, qu'il ne quitta que pour des voyages autour du monde liés à son rayonnement international. En 1931, à l'occasion d'une grande exposition au Glaspalast de Munich, détruit par un incendie, 51 toiles de Cuno Amiet furent anéanties. Un jeune jardinier, Eduard Gerber, s'approcha peu après de l'artiste auquel il acheta une première aquarelle, avant de se lier au couple et de constituer, avec peu de moyens, une collection faisant aujourd'hui référence. Celle-ci fit l'objet d'une grande exposition au Kunstmuseum de Berne, en 2011, dont le catalogue, publié chez Kerber, représente une bonne introduction à l'œuvre et à la vie de l'artiste. Celui-ci est mort en 1961 à Soleure, huit ans après la disparition d'Anna Amiet qui partagea sa vie, ses peines (la mort prématurée d'un premier enfant, compensée ensuite par plusieurs adoptions et tutelles, dont celle du fils de Hermann Hesse) et ses joies. Une grande rétrospective au Kunsthaus de Zurich avait célébré le nonagénaire en 1958.