Un soir de janvier 2008, à la sortie d'une boîte de nuit, Frédéric Beigbeder est arrêté pour s’être repoudré le nez sur le capot d’une voiture. Il est placé en garde à vue, prolongée au dépôt du Palais de Justice par le procureur Jean-Claude Marin. Selon lui, il s’agit de faire un exemple médiatisé, égratigner les privilèges d’une certaine élite à qui l’on pardonne frasques et excès, donner une leçon au pipole rétif ouvertement toxicophile.
Beigbeder le noctambule subversif, l’écrivain branché, le bourgeois frondeur se croît sorti de la cuisse de Jupiter et donc s’insurge d’être traité comme un citoyen lambda. Il entame une introspection, au gré de sa mémoire familiale, pour essayer de comprendre de quel Olympe il descend et comment il a pu en arriver là, macérant dans la crasse d’une cellule de la Souricière et subissant la promiscuité des bas-fonds méphitiques tels qu’il ne les avait jamais fréquentés.
L’auteur retrace l’histoire de sa famille sur plusieurs générations de son arrière grand-père décédé au champ d’honneur jusqu’à sa propre fille, dernier maillon de la généalogie. Si Frédéric Beigbeder est parfaitement horripilant quand il s’insurge du traitement qui lui est infligé en cellule, qu’il dénonce les conditions de détention et vitupère contre le procureur qui ne lui accorde aucun passe droit, il parvient à toucher la corde sensible lorsqu’il ravive des souvenirs d’enfance qu’il pensait avoir oublié. La rencontre de ses parents et leur séparation font écho à ses propres démons, ses échecs maritaux qu’il évoque en filigrane avec sobriété.
Au-delà du récit intimiste, l’écrivain pose un désir d’analyse sociétale, une étude de l’évolution des élites françaises de la première guerre mondiale en passant par mai 68 à nos jours. Un itinéraire personnel émouvant que Frédéric Beigbeder parsème d’anecdotes truculentes et de bons mots, pas toujours très digestes, dont il a gardé le goût depuis ses premiers romans d’autofiction.
Le cynique se fait tendre, le provocateur se révèle sensible et dévoile des profondeurs inusitées. Narration maîtrisée au service d’une structure un peu artificielle mais classique. Le style rassemblé, compact, épuré éclipse les formules et divers tics résiduels du mondain survolté tels que name-dropping et autre crise d’exhibitionnisme. Assagi, plus lucide, Beigbeder nous livre ici un ouvrage plein de promesses, la promesse en particulier du grand écrivain qu’il sera quand il aura tout à fait renoncé à singer ses idoles américaines Bret Easton and co.
Un roman français de Frédéric Beigbeder – éditions de poche Le Livre de Poche – prix Renaudot 2009