Tourismification[1]
A la belle saison, de nouveaux aventuriers arpentent la ville et ses monuments. Harnachés de sacs à dos ou de bananes, ils portent gros l’objectif autour du cou, cherchant les meilleures perspectives, les meilleures prises de vue, détaillant la ville comme ses habitants ne le font plus. On les retrouve à des endroits clés : les places à fontaines, les musées et les cathédrales. Celles-ci ne sont jamais si pleines qu’en été et en dehors des heures de messe, refuge idéal des explorateurs à casquettes, harassés par leur visite de la ville sous un soleil de plomb. Ils ont de bonnes chaussures – sandales ergonomiques ou bottines tout-terrain – mais le petit train est en option pour ceux qui veulent « tout voir » sans trop se fatiguer. Ils veulent du typique, de « l’authentique ». A ce titre, ils ont souvent peur de se faire avoir par l’autochtone – sur le prix ou sur la « marchandise » – et tournent le dos aux mendiants des places à fontaine, d’un air gêné. Ceux-ci font tache dans le cadre typique où chacun, du caviste au restaurateur, joue son rôle dans la grande scène touristique estivale, affichant sa « marchandise » en anglais. La VISA est acceptée partout. Des musiciens d’Europe de l’Est agrémentent l’ambiance de mélodies typiquement françaises. Sur mon vélo, j’ai moi aussi l’impression de jouer mon rôle de citadine bordelaise typique qui fait la gueule aux touristes. Il me semble que j’habite un décor vide de sens. On a vendu mon quartier.
Stéphanie Gernet
NB : Quand je quitte ma ville pour en découvrir d’autres, je sens surgir en moi l’angoisse de leur ressembler, et je boude mon plaisir devant les cathédrales avec la sensation de voir le monde à travers une vitrine.
[1] « Processus socio-économique et socioculturel par lequel une société et son environnement sont transformés en spectacles, attractions, terrains de jeu et lieux de consommation » (Wang N. Tourism and Modernity: A Sociological Analysis, Oxford Pergamon Press, 2000, p. 197)