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Le mâle alpha

Publié le 11 juillet 2012 par Vinsh
Le mâle alpha
Je ne suis pas un mâle alpha. Pas le leader de la meute, le musclé au physique rassurant et à la barbe de trois jours que tous les autres ont plus ou moins envie de se taper. Ou d’appeler papa. Le rôle classique du mâle ne m’a jamais vraiment attiré, même si j’en perçois les avantages les plus évidents (sexuels, donc). En fait, je trouve les aspects négatifs de ce rôle bien plus encombrants, comme ça vu de l’extérieur. La pression. Les attentes. Le donjuanisme autoproclamé. Le tempérament de séducteur. L’aisance en groupe. La taille de ta bite. La nécessaire approbation des autres mâles. Autant de trucs qui demandent à mon sens beaucoup de boulot et de prises de tête. Que je ne me souhaite pas.
Ce sont en fait, et surtout, des critères auxquels j’ai renoncés depuis longtemps pour moi-même. Savoir que je suis le plus rassurant, le mieux monté, le plus fort, le plus baisable n’a jamais fait partie de mes priorités : ces rôles-là étaient préemptés dans la cour de récré bien avant que je commence à avoir un laid duvet au-dessus de la lèvre supérieure. Pourquoi lutter pour rattraper la croissance et le compteur de conquêtes féminines de Julien B. de la classe de 4ème C, quand, à l'évidence, on n'est pas fait pour ce rôle-là ? Va vers ce qui t'est naturel, dude. Certains d’entre nous ne sont pas faits pour dominer leur monde de leur physique parfait et de leur présence forcément charismatique, mais juste pour y faire bonne figure, s’intégrer, essayer de servir de liant, de ne pas trop corrompre le fonctionnement général des groupes auxquels ils appartiennent. Je pense, par moments, que les enfants les moins virils, les moins intégrés, les moins parfaits aux yeux du prof de sport font, adultes, les homosexuels les plus stables, les plus aptes à s'accepter. Ou pas, puisque les raccourcis sont souvent dangereux.
Mais au moins dans mon cas, je crois que ça a beaucoup aidé : accepter tôt qu’on ne rentrera pas dans le modèle de petit garçon parfait qui aime le foot, les camions et la bagarre, ça aide à accepter vite qu’on ne rentrera pas non plus dans le moule de l’homme adulte hétérosexuel qu’on voit dans les spots de pub. D’une certaine manière, prendre conscience que tu es gay quand tu as été la petite star du foot de ton collège ou le bellâtre qui pouvait se taper toutes les cruchasses de la 4ème B, ça doit être une chute vertigineuse dans l’échelle de la self-esteem. Être différent dès l’enfance, plus malingre, plus timide, plus flamboyant que les autres garçons, d’une certaine manière, ça fait relativiser.
Le mâle alpha
Aujourd’hui, pourtant, le milieu gay, puisqu’on l’appelle ainsi, est en train de tant et si bien réussir son intégration (du moins dans les milieux urbains relativement aisés d’Occident) qu’on en occulterait presque la concession que ledit milieu a consentie en route : devenir presque aussi hétéronormé que les modèles traditionnels de sexualité, et surtout de virilité, avec lesquels il s’est opposé si souvent, moins par hostilité que par instinct de survie.
La Marche des Fiertés de Paris du 30 juin avait quelque chose de touchant, avec tous ses lycéens et petits couples hétéros qui défilaient là, parfois par hasard et parfois pour afficher leur soutien. A moins d’un an, apparemment, de la légalisation du mariage pour tous en France, les années de combat, de lobbying, de discours pédagogiques pour expliquer que les gays ne sont pas plus dangereux ou moins dignes de rentrer dans le cadre familial que n’importe quel individu, les teenagers d’aujourd’hui semblent avoir bien progressés, ce qui est rassurant si on imagine qu’on sera peut-être une des dernières générations à subir une homophobie implicitement reconnue par la société, faute de la dénoncer par une égalité des droits.
Note que je ne me fais guère d’illusion sur la disparition de l’homophobie une fois l’égalité des droits rendue effective dans la loi française : l’antisémitisme aussi est interdit, et des antisémites, on en trouve encore.
Là où la Gay Pride est rafraîchissante, et propose un contraste saisissant avec le "milieu" à l’année, c’est dans la possibilité qu’elle offre à chacun d’être le pédé flamboyant ou la folle tordue qu’il est bien souvent obligé de refouler 364 jours par an. Même si le côté "carnaval" peut agacer, pas tant contre ceux qui se baladent en drag queens, en ce qui me concerne, mais plutôt parce que ça me chagrine de voir que certains se pointent à la Marche juste pour prendre des photos comme au zoo et ne voir dans cette manifestation qu'une expression fun de dépravation. Alors que c'est tellement plus.
Car il suffit de se balader rue des Archives un samedi après-midi pour voir le gros défaut, la grosse compromission du milieu, et l’une des raisons principales pour lesquelles de nombreux gays se revendiquent "hors milieu" : c'est beaucoup de pression, beaucoup de normalisation, et on est bien loin du petit mec maigrichon qui se découvrait gay en quatrième et se sentait rejeté par la norme de ses petits camarades footeux qui avaient toujours 17/20 en EPS (qu’est-ce qu’on leur enviait cette moyenne, même quand ils étaient bien souvent infoutus d’avoir la même en maths ou en géo). 
Le mâle alpha
Les gays parisiens, tels que mis en avant sur les flyers de soirées et dans la caste sociale supérieure du "milieu", sont finalement des calques d’hétérosexuels idéalisés : des gars au physique carré (merci Club Med Gym), fiers, épaules larges et pectoraux devinés sous le T-Shirt, avec option barbe de trois jours -  polos Fred Perry. Des «vrais mecs» comme ceux de la 4ème B auxquels on avait, sagement, sans regret et sans arrière-pensée, renoncé à ressembler, croyait-on. 
J’ai déjà parlé de la follassophobie ici. A quelques semaines du dépôt du texte de loi qui, pensent-ils, fera d’eux des citoyens à part entière, les gays que j’observe, à mon âge ou presque, sont des petites caricatures d’hétéros bien en sécurité entre leurs murs parisiens. Fiers d'être gays, mais probablement plus fiers encore qu'on ne les voie plus comme des tapettes, des petits mecs pas assez virils, pas assez sportifs, pas assez musclés. Enfin, en 2012, les gays, et surtout les hommes gays, semblent avoir atteint leur objectif de reconnaissance. Ne se rendant donc pas compte qu’ils n’ont fait qu’adopter, en plus cruels encore, les codes de la masculinité qui les rejetait. Que la vraie égalité, ce sera quand une crevette follasse ne sera pas pas moins considérée, socialement, qu’un bon vieux jock. Qu’ils vont bien vite oublier les autres lettres du sigle LGBT. Et pire encore, qu’ils rejoindront peut-être bientôt les rangs de ceux qui stigmatisent les petites tapettes, les crevettes, les folles perdues. 
Je connais quelques spécimens de mon âge ou à peu près, dans le "milieu". La seule raison pour laquelle ils semblent avoir voté Hollande, c’est pour sa promesse du mariage pour tous. Une fois que cette promesse aura été tenue, continueront-ils à marcher pour l’égalité ? A combattre pour que cessent les discriminations envers les folles tordues, les gouines butch, les transsexuels ? Ou bien n’en auront-ils plus rien à foutre, perdus dans leur vie consumériste déjà bien entamée et leurs préparatifs de mariage ? Pensons entre autres aux lesbiennes, aux bisexuels, aux intersexués et aux transsexuels.
Si le milieu gay met tellement en avant, au détriment des autres "modèles" en circulation,  le gay "viril", le mannequin Calvin Klein, le sportif à cuisses galbées (celui avec qui, qu’on se l’avoue ou non, toute la communauté veut coucher) (y’a qu’à regarder les stéréotypes du porno gay), ne risque-t-il pas de perdre son rôle d’intégrateur, voire de sauveur de vies pour les petits pédés malingres et maniérés qui grandissent péniblement dans des collèges de province pas très open et qui, même dans le milieu gay, ne trouveront peut-être plus de main tendue ? La solidarité sociale dans laquelle le milieu gay s’est construit, certes dans l’adversité, me semble parfois disparaître autour de moi. Et c’est un tort pour deux raisons : d’une, parce que ladite adversité n’a pas disparu et ne disparaîtra pas de sitôt, et de deux, parce que si un milieu se limite à un réseau de saunas, de bars et de clubs de gym, mais ne sert pas à soutenir ses membres les plus marginalisés, à quoi peut-il donc servir ?

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