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Lu pour vous : "Abba, dis-moi une parole !", par le P. Patrice Gourrier (IIème partie)

Publié le 13 juillet 2012 par Hermas

II.- UN FOND DE CRISE DURABLE


Tout ouvrage apparaît dans et d’un certain contexte. Ce contexte peut n’être pas l’objet de l’ouvrage, et l’auteur ne l’avoir pas eu explicitement à l’esprit en l’écrivant. Cependant, sans lui, rien n’aurait été probablement écrit. Il est rare, dès lors, que tel ou tel aspect de ce contexte ne vienne pas éclairer en quelque façon les propos d’un auteur. Encore que celui que nous voulons mettre ici en évidence n'entre pas dans l'intention du P. GOURRIER, il nous a paru utile de le souligner, parce que, présent en son livre, il explique en partie les difficultés que rencontrent aujourd'hui les catholiques sur leur route spirituelle.

L’ouvrage du P. GOURRIER est d’un genre particulier. Ce n’est pas à proprement parler un dialogue, faute d’échanges réciproques entre les personnes concernées. Chaque chapitre présente une interrogation, intime, en quelques lignes résumées, comme un appel ; puis une réponse, intime, comme une main tendue. La réaction de l’interlocuteur à la réponse qu’il a sollicitée, si elle existe, est inconnue. L’Auteur porte ensuite questions et réponses au lecteur, afin qu’il s’interroge à son tour. « Que dois-je faire pour plaire à Dieu ? » ; « Ne vaut-il pas mieux parler que se taire ? » ; « Dieu nous a-t-il abandonnés ? » ; « Je n'arrive pas à prier » ou « Quels sont les stades de la vie spirituelle ? ». Mais aussi : « Toutes ces peintures et ces sculptures dans nos églises ne risquent-elles pas de nous détourner de l'essentiel ? » ; « A quoi sert la confession ? » ; « A quoi servent la fête de Noël... et le carême ? » ; « J'ai du mal à prier Marie, je ne crois ni à sa virginité, ni à son assomption » ; « Je ne comprends plus le mariage chrétien » ; « Pourquoi y a-t-il encore des chants en latin ? » ou « Pourquoi moins de 50 % des catholiques croient-ils à la résurrection ? »

Ainsi, à côté de questions fort classiques et au fond fort saines de la vie spirituelle, certaines autres, où se mêlent doutes, angoisses, relativisme et pertes de repères, révèlent dans le livre un contexte spécifique, celui de la crise qui, depuis plus de cinquante ans, affecte l’Église. Modalités et étapes de cette crise sont multiples. Ses traits essentiels, en revanche, sont toujours les mêmes. Hérités de la crise moderniste née à la fin du XIXème siècle et semés à foison dans les années 60-70 par un clergé indocile et immature, qui se piquait de jouer les prophètes de temps nouveaux, la désacralisation, le scepticisme et le mépris du passé ont répandu leurs fruits, qui n’étaient pas ceux de Dieu mais bien ceux de l’inimicus homo. Le sens de la foi et de l’Église d’un grand nombre de prêtres et de fidèles en a durement souffert. Ces dégâts ont été favorisés par un dévoiement forcené de la catéchèse et de la prédication. Il est pénible de constater à quel point certaines thèses qui étaient jadis le fait condamné d’un Sabatier, d’un Harnack ou d’un Tyrrell ont pu se distiller lentement dans la psychologie religieuse d’un grand nombre, clercs ou non, comme s’il s’agissait désormais d’un limon naturel de la vie chrétienne. L’Année de la Foi voulue par le Saint-Père permettra peut-être bientôt de le mettre davantage en lumière.

Il ne s’agit pas ici de rappeler autrement ces temps mauvais, qui en bien des lieux n’ont souvent laissé, sous prétexte d’ouverture au monde, qu’absence de prêtre, altérations de la foi, ruine de la culture chrétienne, oubli des richesses du passé, perte de mémoire. Cependant il n’est pas possible de ne pas rapporter les effets à leurs causes. L’ouvrage du P. GOURRIER évoque d'ailleurs lui-même cette époque, sous son aspect loufoque « de “Peace ans Love”, durant laquelle on a favorisé chaque dimanche “l'inventivité” des communautés » (p. 180). Il le fait, cependant, en diluant un peu trop dans l’humour et le folklore soixante-huitard des circonstances à la réflexion graves et lourdes de conséquences. Ces dernières expliquent pourtant en bonne part la survenance de certaines des questions angoissées dont l’Auteur est aujourd’hui l’objet de la part de fidèles désorientés. Comment comprendre, sans la solution de continuité apportée par ces événements, que des fidèles puissent en particulier s'indigner avec « colère » de la persistance du latin (p. 177), s'interroger sur l'utilité de la prière à Notre-Dame ou sur sa virginité, sur l'utilité de la confession, de l’habit ecclésiastique, des sculptures ou peintures dans les églises ou se montrer incertains sur les attitudes à adopter pendant la messe, pour ne citer que ces seuls exemples ?

L’Auteur lui-même, d’ailleurs, qui raconte en ses réponses ses propres évolutions sacerdotales ou spirituelles, témoigne, indirectement, de ce dont ses aînés l’ont privé, sans peut-être d'ailleurs avoir claire conscience de cette privation. Ainsi, cherchant à convaincre l’un de ses interlocuteurs de la nécessité pour le prêtre de porter un habit ecclésiastique, il lui expose qu’il l’a découverte au hasard de ses lectures. Un réflexe assez excusable conduirait à penser que ce fut celle du canon 284 du Code de droit canonique (1983) ou du “Directoire pour le ministère et la vie des prêtres” (31-01-1994), tous deux antérieurs à son ordination sacerdotale, ou peut-être encore de la lettre du Pape Jean-Paul II au vicaire de Rome, le 8 septembre 1982, ou d’un texte analogue. Dans cette lettre en effet, le saint Pontife, soulignait « la valeur et la signification de ce signe distinctif, non seulement parce qu'il contribue à la bienséance du prêtre dans son attitude extérieure ou dans l'exercice de son ministère, mais surtout parce qu'il met en évidence au sein de la Communauté ecclésiastique le témoignage public que tout prêtre doit donner de sa propre identité et de son appartenance spé­ciale à Dieu (…) » et parce qu’il incite le prêtre « à réfléchir sur les réalités qu’il représente dans le monde et sur le primat des valeurs spirituelles qu’il affirme dans l'existence de l'homme ». Non, cette nécessité, l’Auteur, selon son propre aveu, ne l’a découverte qu’à la lecture de… Lacan (p. 28). La découverte est heureuse, les voies pour y parvenir sont plus tristes. Il est vrai que ses aînés, qui ont tant persécuté les prêtres fidèles en ce domaine, ainsi qu’en a témoigné Mgr Masson sur ce blogue, ne pouvaient lui enseigner ce qu’ils avaient eux-mêmes si résolument rejeté au nom de l’idéologie de la fusion dans le monde.

De même, s’agissant de la manière de célébrer les saints mystères. Bien des fois nous avons reçu l’aveu de prêtres, jeunes ou moins jeunes, de ce qu’ils ne l'avaient jamais apprise dans leur séminaire ou leur maison de formation, aussi étrange que cela puisse paraître. Bien des fois aussi, le spectacle donné par des gestuelles théâtrales et ridicules nous ont permis de vérifier qu’il en était bien ainsi. Ces prêtres en étaient alors réduits à se former, si l’on peut dire, sur le tas, par l’observation de ce que faisaient les plus anciens, eux-mêmes souvent antérieurement guidés par leurs propres inspirations, leur nonchalance ou leur goût de se donner en spectacle. Le P. GOURRIER apporte un témoignage identique : « Voilà dix ans que j'ai été ordonné et, durant toutes ces années, je me suis demandé comment tenir mes mains durant les célébrations » (p.181). Il a alors observé ses confrères, répond-il à une personne qui lui demande si l'Église donne des règles sur la manière de se tenir à la messe : certains avaient les mains jointes, d’autres les bras le long du corps. Lui-même a senti que les mains jointes convenaient mieux à ses dispositions spirituelles. Il rejoint ainsi une tradition des plus anciennes, mais comme par hasard, guidé par ses intuitions, sans l’avoir reçue de ses anciens, comme si les règles liturgiques n'existaient pas.

Le P. GOURRIER renvoie de même son interlocuteur, pour ses propres attitudes à la messe, aux inspirations de sa subjectivité (p. 181), comme s'il était acquis qu'aucune pédagogie objective ne devait désormais exister en ce domaine et comme si l’Église n'y était pas porteuse, par sa tradition évangélique, d'une expérience favorisant l'adoration et le recueillement.

Nous pensons spontanément à l'agenouillement. Mais, là encore, ce n'est pour l'Auteur qu'une gestuelle dictée par l'inspiration personnelle : « Pour certains... pour d'autres... ».Traitant de cette question également à propos de l'assistance à la messe, il invite, pendant la consécration, à se mettre... debout, sous prétexte que le péché nous met à terre et que le Pain de Vie nous met debout (p. 22). Ce qui est frappant, ici encore, c'est que les questions posées ne portent pas l'Auteur à rechercher une lumière dans des règles objectives, telles qu'elles peuvent notamment résulter des normes ou des enseignements de l’Église, mais à privilégier les élans de la subjectivité, par un respect mal compris de la personne, en rattachant indûment son interprétation personnelle à la tradition.

« Jésus priait à genoux, rappelait pourtant le Pape Benoît XVI dans son homélie du Jeudi-Saint 2012. Les chrétiens, par leur agenouillement, entrent dans la prière de Jésus sur le Mont des Oliviers. Devant la menace du pouvoir du mal, eux, parce qu’ils sont agenouillés, sont droits devant le monde ». Tandis que le saint curé d'Ars, auquel ces mots font écho, disait que « l'homme n'est grand devant Dieu qu'à genoux », une partie notable du clergé s'est appliquée, depuis cinquante ans, à voir dans ce geste une attitude indigne de l'homme, par cette répulsion qu'ils partagent curieusement avec les païens de l'Antiquité. Il faut lire à cet égard les réflexions décisives du Pape Benoît XVI, alors Cardinal, dans le chapitre 2 du livre 4 de “L'Esprit de la liturgie” (1), qui répondent si bien à l'interlocuteur du P. GOURRIER et aux termes utilisés par ce dernier. Le Cardinal y déclarait : « On voudrait aujourd’hui nous détourner de l’agenouillement. Ce geste ne serait plus adapté, paraît-il, à notre culture, il ne conviendrait plus au chrétien adulte qui doit faire face à Dieu, debout ; ou encore il ne s’accorderait pas avec le statut de l’homme sauvé, car l’homme libéré par le Christ n’aurait plus à s’agenouiller », avant d'ajouter : « L’agenouillement (...) nous vient de la Bible et de sa conception de Dieu. Dans la Bible, le verbe “proskynein” [s’incliner jusqu’à terre après avoir ployé les genoux] apparaît 59 fois dans le Nouveau Testament, dont 24 fois dans l’Apocalypse – signe de l’importance que l’Ecriture attribue à ce geste ». Et le Saint-Père concluait par ces mots, que l'on devrait donner à méditer dans tout séminaire : « Il se peut bien que l’agenouillement soit étranger à la culture moderne – pour la bonne raison que cette culture s’est éloignée de la foi. Elle ne connaît plus Celui devant lequel l’agenouillement est le seul geste adéquat, le seul geste nécessaire. La foi apprend aussi à nous agenouiller. C’est pourquoi une liturgie qui ne connaîtrait plus l’agenouillement serait intrinsèquement malade. Il faut réapprendre à nous agenouiller, réintroduire l’agenouillement partout où il a disparu, afin que, par notre prière, nous restions en communion avec les apôtres et les martyrs, en communion avec le cosmos tout entier, en union avec Jésus-Christ » (p 146-153).

(à suivre)

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(1) Cardinal J. Ratzinger, L'esprit de la Liturgie, Editions Ad Solem, 2001, 192 p.


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