par Maxime Maillard
I
Sa tête bourdonnait comme une lavande
Et les fruits succédaient aux fleurs
Quand elle se laissa partir
Bien décidée à ne pas revenir
Des deux côtés du couloir on se regardait sans se comprendre
Entre détresse et soulagement
II
Ces deux-là ne faisaient qu’un
La vie les avait rendus doux comme des galets
On les voyait côte à côte à Noël sur le divan
Lui, donnant le la
Elle, les lèvres en coeur
Sous de fines lunettes posées tout au bout du nez
Ils tiraient à deux mains dans les ruelles du bourg
Une vieille histoire d’adolescents
Inséparables au guichet de la poste
A la piscine municipale les jours de pluie
Leurs deux bonnets de silicone bleu
Progressant lentement parmi les vaguelettes
Puis une nuit
Comme une plante pousse
Le forgeron est parti
Sans saluer personne
S’est faufilé dans un coin de sa Françoise
III
Sa vie durant le boucher s’était tu
Acceptant tout et bien plus
Amen - pauvre boucher
Qui devint même banquier pour lui plaire
Des bonshommes en costume et gousset
Passaient derrière la vitre opaque
Puis s’installaient autour d’un vermouth
Pendant qu’il déglaçait son filet
Amen – pauvre boucher
Qui fut trop tendre pour vivre vieux
Tout blanc dans son cancer
Il veilla la nuit entière
Pour la voir dans ses beaux habits
Avant que le jour ne chasse l’ombre
Pour la voir comme au sortir de la forêt
Coquette avec son béret rouge
Et qu’elle lui tende
Enveloppé dans une lavallière
Le vieux livre au scotch brun
Où ils s’étaient rencontrés
Du temps qu’il était guignol
Sur la scène d’un théâtre amateur
IV
Le père Bovet alité depuis belle lurette s’est envolé vers midi
Sa femme l’a vu qui flottait au-dessus de la grange dans un drap blanc
saluant les bêtes de ses paumes charnues
Avant de disparaître dans le vent
V
Les grands-parents sont partis presque en même temps à force d’être
vieux
Ce fut le pire accident de leur enfance et la fin d’une saison
Adieu les livres d’images
Adieu la farandole
Le grenier merveilleux
Adieu mes frères
VI
Se peut-il qu’on s’en aille sans jamais revenir
Qu’ils se dérobent ceux-là qui nous ont vu grandir
VII
Ils ont beau traverser l’existence
Tels ces pèlerins de Compostelle
Ce sont des jardins qui s’en vont avec eux
Où il était bon de s’asseoir pour écouter
Le chagrin qu’ils sèment remplira ce creux
Et l’on se relèvera comme on s’est allongé
Quand le père s’en ira
Cette place qu’il laissera
Il faudra à mon tour que je la laisse
Car on ne voudra plus de moi
Dans ce quatre pièces plein sud
Où les murs schlinguent les livres
Qu’il claque et je pleurerai
Comme un môme enfin libre
De monter dans un train
Et de marcher à l’envers
VIII
Quand elle est partie j’ai voulu partir aussi
Enfouir ma tête dans ses plis
Et me laisser porté dans le courant
Mais au matin mon réveil a sonné
J’ai enfilé mon bleu et je suis sorti
A travers la nuit j’ai marché jusqu’au trolley
Dans le parc la lumière coulait le long des bouleaux
Les biches mâchaient des biscuits ramollis par la rosée
Et j’ai compris qu’on ne part pas aussi simplement
J’ai fleuri son urne matins midis et soirs
Une fois j’ai repris le bus sans y penser
Le lendemain j’ai fredonné l’air de Dona
En rempotant un camélia
Chaque semaine je disposais dans l’alcôve
Une fleur que je piquais dans les serres
Puis un jour à côté de sa photo
J’ai installé un petit pin en pot
Et une bougie dont la flamme dure
m’a dit le vendeur
Aussi long qu’un paquebot pour les Indes
IX
Mon genou fait crac dans les escaliers
Et mon dos a fait crac lorsque je me suis baissé sur une motte
Mon ongle craque sous mes dents comme craque le vernis du banc
La montagne craque au-dessus du cimetière où mon ami s’enterre
Et l’échelle entendra peut-être ce craquement qui fendra l’air
quand je me hisserai sur les platanes pour la taille
On rira de moi gentiment comme chaque année et je rirai pour qu’ils
restent eux-mêmes
J’attraperai mon sécateur et je sectionnerai quelques branchettes
à leurs gros moignons
Depuis là-haut j’entendrai le chant du martinet et je verrai la
garniture blanche de leurs crânes
Une lointaine fumée s’élèvera au-dessus d’un feu de planchettes
Qui recouvrira la tombe du général et la croix en bois de Ramuz
X
Allongé sur mon reposoir concave
Le dos bien calé avec trois oreillers
Mes pieds en chaussons à dix heures dix
Une brise légère me caresse les cuisses
J’entends le vieux qui gratte un zwieback
Le ciel est un champ de laine en fuite
Je suis en slip, parfaitement à l’aise
Sans rien devant ni derrière
(Cette suite poétique inédite, de Maxime Maillard, a paru dans la dernière livraison du Passe-Muraille, No 89, consacrle à la relève littéraire romande)