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Ma soeur est un boulet et autres concidérations culturelles

Publié le 16 juillet 2012 par Almiragulsh @DBEDF

Ce matin, je me suis retrouvée à discuter de Ma Sœur est un boulet avec ma collègue dithyrambique sur ce spectacle qui lui a provoqué moult fous rires "c'est pour te dire si c'était bien". Je l'ai patiemment écoutée me raconter comment elle avait trouvé le jeu de l'actrice formidable, les répliques tordantes de rire, et les costumes "vraiment bien foutus". Et quand elle m'a vivement conseillé d'aller dépenser comme elle 17 euros, j'ai même répondu "ouais, pourquoi pas, je vais y penser". Pourquoi est ce que je ne lui ai pas suggéré à mon tour d'aller voir ce petit spectacle de funambule sans prétention mais plein de poésie ou ces clowns hilarants de finesse et d'absurde? Je me pose encore la question.

Ma soeur est un boulet et autres concidérations culturelles

L'affiche du crime - mes yeux saignent

C'est un secret pour personne. L'élitisme est mon petit vice caché. Certains se rongent les ongles, d'autres mangent leurs cheveux, j'en connais qui sont cleptomanes. Moi, je suis élitiste. Je ne jure que par le Grand, le Beau, le Vrai. La nana qui lit Closer dans le train? C'est à peine si je lèverai des yeux dédaigneux de mon Faulkner pour lui signifier mon mépris. Les conversations sur l'Amour est dans le pré autour de la machine à Café? Je n'y participerai que lorsqu'elles évoqueront la Nouvelle Vague et la Politique des Auteurs. Que voulez vous, c'est comme ça, je suis une véritable connasse, toujours prompte à poser un jugement méprisant sur la manière dont tu occupes ton temps libre.
Mais ne dit-on pas que le premier pas vers la guérison c'est la prise de conscience? J'ai eu la mienne très tôt. Quand j'ai réalisé que lire Jane Eyre pendant mes récrés collégiennes au lieu de sniffer de l'eau écarlate ne pouvait m'attirer que des jets de pierre. J'ai même poussé le vice, lors de mes premières années de fac loin du giron familial, jusqu'à acheter un album de David Guetta et à me rendre comme à la messe aux soirées Benny Benassi.J'ai fait du mainstream ma clef vers l'intégration. Je ne voulais qu'une chose, me fondre dans la masse, me faire oublier. Ça a été très efficace. Aujourd'hui encore, je cache à mes collègues ma passion pour Twin Peaks, et je me contente de hocher la tête quand elles me font le résumé des épisodes précédents de Plus belle la vie. Je ne pense pas que je leur avouerai que l'un de mes plus grands regrets sera de ne pas avoir vu Bowie sur scène quand elles trépignent à l'idée de voir Hélène Ségara en live (J'ai déjà eu bien assez mal quand, surexcitée, je leur ai dit que j'allais voir Radiohead, et que comme un seul homme elles m'ont dit "c'est quoi?"). Je ne suis pas certaine que je leur communiquerai mes impressions sur Nouveau Roman après les avoir entendu répéter à maintes reprises à quel point le théâtre c'était nul, chiant et cher. Je ne compte pas les fois ou je me suis mordue la langue en les entendant dire "le cinéma, j'y vais jamais, c'est toujours la même chose" ou alors "la musique? oh, tu sais, à part ce qui passe sur Chérie FM..." quand ce n'est pas "ah non, moi le soir en ville, je sors jamais, ça craint trop, il n'y a que des dealers et des drogués". Pourtant, si on a pas forcément le même niveau d'étude (mon master étant directement lié à ma boulimie de connaissances), on vient de la même région, on est allées dans le même type de lycées, et nos parents sont issus des mêmes catégories socioprofessionnelles, et petites, on avait le même type de pratiques culturelles.
J'ai bien conscience que j'ai tort d'agir comme ça. Puisqu'elles partagent avec moi des choses qu'elles aiment, pourquoi est ce que j'essaierai pas de les rendre curieuses de ce qui me passionne? Pourquoi est ce que je ne me lance pas le défi de les intéresser à ce qu'elles ne connaissent pas? Probablement parce que j'ai l'impression qu'en mettant mes centres d'intérêt sur la table de la pause café, j’induirais implicitement que ce qu'elles aiment, c'est du vide, du creux, du rien. De l'antimatière. Je pense que j'ai aussi une peur absolue qu'elles me répondent "non non, n'insiste pas, tes conneries là, ça ne m’intéresse pas du tout" ou encore "faut vraiment pas avoir la lumière à tous les étages pour être attirée par ce genre de trucs d'intellos". J'ai peur de devenir cette péteuse donneuse de leçon qui se permet de porter des jugements de valeurs sur ce que font les gens.
Pourtant, ça me démange. C'est fou ce que ça me démange. Ce qui me pique le plus, c'est de voir à quel point les gens comme mes collègues de travail se limitent. On vit dans un monde d'une richesse incroyable et absolue, avec des moyens d'accéder en un clic à des infos jusqu'à il y a peu totalement hors de portée. Autour de nous, tout est source de création, d'idées, de réflexions, d'interprétation, de connaissance. Et ils se contentent de ce qu'on leur sert au travers de la première chaîne de leur écran plat. C'est comme si on se retrouvait dans la plus grande confiserie jamais vue et qu'on se contentait de suçoter ses crottes de nez.
Alors oui, la culture, ça demande un effort. Lire un livre, ça prend du temps. Regarder un film art et essai, ça demande de la réflexion. Aller voir une pièce de danse contemporaine, ça comporte un risque. Et oui, cet effort est difficile à faire, surtout quand on a passé sa journée au boulot, puis qu'on s'est occupé de trois enfants cannibales, et qu'on a de tous petits revenus. Mais regarder Fargo sur Arte coûte le même prix que regarder Secret Story sur TF1. A ceci près qu'en regardant Fargo, on a un retour sur investissement immédiat, puisqu'on aura vu un film avec un vrai regard. Acheter des livres, c'est cher. Mais ma carte de médiathèque ne m'a rien coûté, et me permet le luxe de choisir les livres compulsivement, juste parce que je trouve que la couverture est jolie. Prise de risque = 0. Si le bouquin ne me plait pas, je le ramène et j'en prends deux autres à la place. Pour la musique? Youtube, Deezer, Grooveshark, Spotify, Dailymotion, j'en passe et des moins légaux. Écouter de la musique, découvrir des artistes, et décider que non, ça on aime pas, c'est les doigts dans le nez. Reste le spectacle vivant. Là, ok, l'investissement est forcément sonnant et trébuchant. Mais tout dépend dans quoi on veut investir. Dans du divertissement pur? Tiens, parlons pets, fesses et secrétions, rigolons un bon coup, merci au revoir? Ou dans quelque chose qui restera comme un souvenir et une source d'inspiration dans lequel on pourra venir piocher (quitte à trouver ça long et un peu chiant sur le moment) quand on veut?
Et voici donc la question que je me pose sans relâche chaque fois que les premières affiches fleurissent sur les murs d'Avignon. Qu'est ce qui fait la différence entre ma collègue (qui a surkiffé Ma Sœur est un boulet) et moi (qui ai ravalé mon vomi à la simple vision de l'affiche)?

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