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Max | Me semble-t-il

Publié le 19 juillet 2012 par Aragon

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toutes affaires cessantes....

"Laurence Anyways" : variation transgenre sur la fatalité du couple

LE MONDE | 17.07.2012 à 14h13 • Mis à jour le 17.07.2012 à 18h37

Par Jacques Mandelbaum

Max | Me semble-t-il

Le cinéma québécois, entité qui effarouche les cinéphiles par son goût emphatique du sujet de société, n'a jamais trouvé en France, hormis quelques succès occasionnels, une attention digne du lien qui nous relie à nos seuls vrais cousins d'Amérique. Depuis peu, un jeune énergumène nommé Xavier Dolan a réduit d'un coup en miettes cette prévention. Enervée et provocatrice, intelligente et malséante, forte de l'effervescence de la jeunesse, son oeuvre, d'emblée mise en valeur par le Festival de Cannes, a aussitôt été repérée comme un phénomène à suivre. Il faut dire que le trajet est impressionnant. Premier long-métrage à 20 ans, d'inspiration ouvertement autobiographique, sur la relation conflictuelle et fielleuse entre un adolescent homosexuel et sa mère (J'ai tué ma mère, 2009). Le film divise mais fait beaucoup parler de lui. La promesse est rapidement suivie d'une confirmation, celle des Amours imaginaires (2010), sorte de Jules et Jim de notre temps, pop, métrosexuel et enlevé.

Avec Laurence Anyways, Dolan présente son projet à ce jour le plus ambitieux. Une histoire de passion amoureuse déchirée dont l'action, qui dépasse les deux heures trente, se déroule sur une dizaine d'années, de la fin des années 1980 à l'aube du XXIe siècle. La belle affaire, dira-t-on, après Ingmar Bergman et Jean Eustache.

Précisons : il y a bien une femme et un homme qui s'aiment, mais l'homme, un beau matin, veut devenir une femme. Problème. Lucidement formulé par la femme, effondrée, lorsque son partenaire lui avoue sa décision : "Tout ce que j'aime de toi, c'est ce que tu détestes de toi." Mais l'altérité transgenre n'est ici que le cache-sexe, pour ainsi dire, d'une problématique plus classique : la capacité d'un couple, qui se veut naïvement sans limites, à surmonter ce qui borne son désir. Le motif de la transsexualité devient ainsi une sorte de figuration littérale de la définition lacanienne de l'amour : donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas.

Le film qui en ressort est un monstre déconcertant. D'un côté, la fuite baroque, le goût du kitsch, le scintillement de l'esthétique queer, la dramaturgie court-circuitée en même temps qu'intensifiée par un flot musical omniprésent (de The Funeral Party de The Cure jusqu'à la "Cinquième" de Ludwig Van Beethoven). De l'autre, un bon vieux mélo des familles, qui ne déroge pas aux canons : primat du romanesque, exposition limpide du conflit, respect du déroulement narratif, dialogues ciselés, morceaux de bravoure pathétiques. Tout démarre en 1989, par l'évocation d'un jeune couple branché qui tire de son aisance à défier les convenances le carburant d'une passion dévorante. Fred (Suzanne Clément), tempérament de feu, est scripte dans le milieu du cinéma, Laurence (Melvil Poupaud), funambule mélancolique, enseignant en littérature à l'université. Les deux personnages portent, du moins au Québec, un prénom mixte, à l'unisson d'une époque qui lâche du lest sur la définition bio-sociale des rôles et des genres.

C'est de là, logiquement, que vient la faille. Une chose est de cultiver le brouillage des identités, y compris sexuelles, une autre de vouloir en changer. Confronté à cet ultime tabou, qui vaut à Laurence son exclusion sociale, le couple est mis à l'épreuve. Laurence, honnête vis-à-vis de son désir, se transforme en femme mais pense que tout est encore possible entre eux. Fred, à laquelle est imposée cette métamorphose, veut croire qu'elle s'en accommodera mais présume de son propre désir. Le mouvement du film prend dès lors la forme tragique d'un impossible amour, d'une élégie qui prolonge sur dix années de ruptures et de retours l'agonie d'une passion vouée à un destin fantomatique.

Les deux rôles principaux jouent une partition contrastée

A côté de personnages secondaires particulièrement bien campés (Nathalie Baye parfaite en mère détruite de Laurence, Monia Chokri électrisante en soeur lesbienne qui dispute à Fred le monopole de l'altérité familiale), les deux rôles principaux jouent une partition contrastée. Abattage maximal, un rien épuisant, pour Suzanne Clément, détermination tout en finesse et retenue pour Melvil Poupaud. Si l'acteur français y gagne, à n'en pas douter, le plus beau rôle de sa carrière, le film y perd en revanche une part de sa puissance. La sérénité et le minimalisme du jeu de Poupaud, destinés à naturaliser son personnage dans le cadre d'une peinture d'un couple de notre temps, ont en même temps pour effet d'étouffer le trouble et la complexité de la différence qu'il revendique. Laurence demeure, aux yeux du spectateur, un garçon charmant qui se déguise en fille, sans que rien du vertige intérieur qui détermine cette mutation ne semble affecter sa relation au sexe, à l'amour ni au monde.

Quelques films récents - on pense notamment à Tiresia (2003) de Bertrand Bonello, Wild Side (2004) de Sébastien Lifshitz, ou Mourir comme un homme (2009) de Joao Pedro Rodrigues - ont apporté sur le sujet une profondeur, une ambiguïté et une sensualité autrement plus déstabilisantes.

Il y a sans doute, de la part de Xavier Dolan, une certaine naïveté à réduire ainsi le personnage de Laurence au rôle de fer de lance d'une campagne contre la normativité sociale. Du moins, ce romantisme juvénile, associé à la grâce pimpante de sa mise en scène, offrent-ils une raison très valable d'apprécier le film et d'espérer en la maturité d'un auteur qui va aussi vite en besogne.

Télérama : Laurence Anyways

On n'aime pas
Drame réalisé en 2012 par Xavier Dolan

SYNOPSIS

«Laurence Anyways», c'est l'histoire d'un amour impossible. Le jour de son trentième anniversaire, Laurence, qui est très amoureux de Fred, révèle à celle-ci, après d'abstruses circonlocutions, son désir de devenir une femme.

LA CRITIQUE LORS DE LA SORTIE EN SALLE DU 18/07/2012

On n'aime pas

Laurence, c'est un homme qu'on pourrait croiser au détour d'un mauvais programme de télé-réalité. Professeur de littérature dans une fac de Montréal, il décide un jour de s'habiller en femme, tailleur, bijoux et talons hauts. Grand branle-bas dans le landerneau universitaire, qui éjecte ce drôle de zèbre. Crise conjugale aussi, car Laurence vit avec une femme, Fred, et n'a pas l'intention de se mettre à aimer les hommes. Pas facile à expliquer. A maman et à papa non plus. Voilà un petit monde secoué dans ses habitudes, recroquevillé sur ses peurs, ses tabous. Mais cette histoire, Xavier Dolan ne la voit et ne la raconte qu'en grand.

Si les réactions d'intolérance et les mesquineries ne lui échappent pas, son regard ne s'arrête ni à la chronique domestique, ni à l'observation des changements des moeurs. Laurence anyways est un film fleuve qui ne cesse de s'ouvrir, de nous emmener plus loin, avec un formidable appétit de cinéma. Comme un besoin insatiable de dépassement, à travers lequel le cinéaste canadien rejoint son héros-héroïne. Etouffant dans son armure d'homme, Laurence (Melvil Poupaud) ne peut survivre qu'en s'aventurant vers la femme qu'il veut devenir. Son changement d'identité sexuelle n'est pas qu'une étrange affaire privée, c'est une épopée personnelle, tortueuse et exaltante. Autour de lui, sa mère (Nathalie Baye) et sa compagne, Fred (Suzanne Clément), sont dépassées elles aussi par une histoire qu'elles ne maîtrisent plus. Qui les emporte de gré ou de force.

On sent une envie de défi chez Xavier Dolan, jeune cinéaste de 23 ans. Révélé par un film à vif et stylé (J'ai tué ma mère, 2009) puis passé à une séduction plus lisse (Les Amours imaginaires, 2010), il prend ici des risques. Comme Laurence. Un film très long qui raconte dix ans de vie, le grand jeu ? Au lieu de se couler dans le moule romanesque lyrique des fresques cinématographiques, Dolan ose un étonnant collage, juxtapose toutes sortes d'images. Des plans tableaux, saisis dans la chambre bleue de Laurence et Fred. Des scènes (de ménage) presque classiques, intenses et remuantes. Des envolées en musique, euphoriques. Des moments où semble passer une vérité presque documentaire, quand Laurence trouve refuge dans une bande de drag-queens forcément spectaculaires. Des effets spéciaux poétiques, quand Fred lit le livre que Laurence écrit. Un impressionnant puzzle pour raconter comment va se construire, morceau par morceau, une nouvelle vie.

La force de Xavier Dolan, c'est qu'il n'a peur de rien. Là aussi, il rejoint Laurence, qui affronte tous les regards en se jetant à l'eau. Comme Melvil Poupaud, qui se mue en femme avec un parfait aplomb, sans craindre ce que ça peut avoir de bancal, parfois de troublant. A tous les niveaux, Laurence anyways est donc un film sur le courage. Un courage qui, plus encore qu'une qualité morale, est une sorte de panache, de grandeur. Et une volonté d'honnêteté avec soi-même. Ce que n'illustre pas seulement le personnage de Laurence, mais aussi celui, presque aussi fort, de Fred. Celle qui a le courage de vouloir comprendre, accepter l'incroyable, puis le courage de dire qu'elle ne peut pas comprendre.

On touche là la tonalité la plus profonde de ce film qui aime mêler les couleurs comme les atmosphères et les personnages : dans cette ronde, c'est la solitude qui l'emporte. Pour Dolan, elle n'a rien de triste. Elle va avec cette affirmation de soi, ardue mais salutaire, dont il ne cesse ici de parler. Entre Laurence et Fred, un projet de séjour sur une île canadienne est sans cesse repoussé, comme un voyage impossible sur une carte de Tendre rêvée. Jusqu'à ce qu'on comprenne que l'île, c'est Laurence. Personnage insulaire, sorti du lot commun des hommes et des fem-mes, unique en son genre. Et une île, c'est beau, nous dit Dolan. Une île, c'est magnifique. — Frédéric Strauss


Frédéric Strauss


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