SOUS LA PEAU COMME UNE ÉCHARDE
La lumière traverse
parfois la peur aussi
l’angoisse pousse
son étreinte
à travers
le soleil
derrière la vitre
taches d’ombres
dans les feuillages
vibre sur la pensée
éparse
Que restera-t-il demain
de quels mots
seras-tu faite
de quelles traversées encore
entre ciel bleu éclat de verre
et ciel gonflé de nuages
sous la peau
comme une écharde
pour dire le trop-plein
du jour sa lenteur
à panser les blessures
Et ce vent doux qui balaie
en surface
mouvement d’air tout autour
les plans des champs
comme coquillages
en bouquets sur les dévers
le revers du temps
se tient à la marge
file ses heures sans
t’attendre
tu respires
à peine un souffle
qui te traverse cheveux
et peau joues
et sourire dans
le coulé des mots
Les noms ne sont plus les mêmes
comme absentés de la carte
d’autres rails
les ont emportés
au cœur d’autres
certitudes
à chacun son métier sa place
et moi la mienne
pour quelle nuit diffuse
il se pourrait
que l’heure passe
qu’elle te laisse sur le bord
Quelle rive la tienne
en quel sens suivre
la marche
des visages qui se profilent
avancées d’ombres
sur les rails
Le vent balance des formes
avec le gris de l’air autour
un enfant pleure
que rien ne résigne
attente longue
sur le quai
les regards entrevus
s’éloignent
les corps aussi
dans le glissé
les voix leurs mots
se superposent
bougent tes mots
sous ta langue
bousculent phrases et images
d’autres voix glissent
sous ta voix
tu croises décroises recroises
tramail de mots
dans le tissé silence
qui se trame
Les blés
comme un champ de lumière
qu’en dire d’autre
le temps d’avant
persiste
pousse sa trace
dans le désordre du moment
parfois
un clocher scintille
dans un ciel sans histoire
temps arrêté sur la fureur
une voix funeste annonce
les désastres d’un lendemain
qui hurle sa douleur
une autre intime de se taire
de panser
les plaies du malheur
des vaches paissent blanches
figées dans le même sens
sens inverse de la marche
les rails filent
cousent la route
à l’envers
Tout à l’heure était là
encore
sera dépassé demain
tu couds tes fils
avec tes mots
pour retenir l’instant lumière
les mailles larges
laissent passer
Hier soir était lame blessante
mère obsédante
à travers maux
une main rythmait le poème
oiseau papillon oiseau
une voix gonfle la phrase
s’en prend à l’obscène du corps
il faudrait adoucir le choc
des dents leur violence
court sous la langue
un cri éclate
la bouche lance
son désarroi
À chaque âge ses plaisirs
à chaque tête ses pensées
une enfant dessine
ronds noirs dans un cercle bleu
dans le labyrinthe déjà ?
le temps est-il le même
pour tous qu’est-ce qui
te sépare d’elle de lui
de cet autre encore
tant de choses
sous le même ciel
dans le même espace
rails identiques
pour un temps compté
même enfermement
une même lumière
un même roulement à billes
sur des voies jumelles
une même destination
chacun s’occupe
la plupart lisent
ou dorment bouche bée
sur le vide
le jour file vers sa fin
les jeunes couples se protègent
courbés
dans la même ampleur
une route tourne qui encercle
le village jeu de l’oie
et nos enfances
avec couleurs et panda
d’une main il ajuste
la chemise d’elle
sur son dos dénudé
elle croise les bras
sur sa poitrine relève à elle
ses genoux
paupières lourdes
sur le sommeil
tapis à l’ombre des jupes
des tissus clos
sur leurs formes
les bijoux indiscrets
sertis dans leur bogue
de toile frottements d’élytres
et calme secret des eaux
Elle pense
à tout ce qui ne se peut dire
qui se panse dans le silence
elle pense à cet autre silence
le grand silence blanc
de l’écume
là-bas.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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